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Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/497

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LES PARISIENS EN PROVINCE : LA MUSE DU DÉPARTEMENT.

femme qui, après vous avoir ordonné de passer par un égout pour lui sauver l’honneur, vous dit : — Je n’aime pas la boue ! quand vous en sortez.

Dinah ramassa les guides jusqu’alors assez flottantes de la domination que toutes les femmes spirituelles exercent sur les gens sans volonté ; mais à cette manœuvre elle perdit beaucoup de son lustre moral : les soupçons qu’elle laissa voir attirent aux femmes des querelles où le manque de respect commence, parce qu’elles descendent elles-mêmes de la hauteur à laquelle elles se sont primitivement placées. Puis elle fit des concessions. Ainsi Lousteau put recevoir plusieurs de ses amis, Nathan, Bixiou, Blondet, Finot dont les manières, les discours, le contact étaient dépravants. On essaya de persuader à madame de La Baudraye que ses principes, ses répugnances étaient un reste de pruderie provinciale. Enfin on lui prêcha le code de la supériorité féminine. Bientôt sa jalousie donna des armes contre elle. Au carnaval de 1840, elle se déguisait, allait au bal de l’opéra, faisait quelques soupers afin de suivre Étienne dans tous ses amusements.

Le jour de la Mi-Carême, ou plutôt le lendemain, à huit heures du matin, Dinah déguisée arrivait du bal pour se coucher. Elle était allée épier Lousteau qui, la croyant malade, avait disposé de sa mi-carême en faveur de Fanny Beaupré. Le journaliste, prévenu par un ami, s’était comporté de manière à tromper la pauvre femme, qui ne demandait pas mieux que d’être trompée. En descendant de sa citadine, Dinah rencontra monsieur de La Baudraye, à qui le portier la désigna. Le petit vieillard dit froidement à sa femme en la prenant par le bras : — Est-ce vous, madame ?…

Cette apparition du pouvoir conjugal devant lequel elle se trouvait si petite, et surtout ce mot glaça presque le cœur à cette pauvre créature surprise en débardeur. Pour mieux échapper à l’attention d’Étienne, elle avait pris le déguisement sous lequel il ne la chercherait point. Elle profita de ce qu’elle était encore masquée pour se sauver sans répondre, alla se déshabiller, et monta chez sa mère où l’attendait monsieur de La Baudraye. Malgré son air digne, elle rougit en présence du petit vieillard.

— Que voulez-vous de moi, monsieur ? dit-elle. Ne sommes-nous pas à jamais séparés ?…

— De fait, oui, répondit monsieur de La Baudraye ; mais légalement, non…