Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’artistes par les bourgeois et sous le nom de rapins dans les ateliers. On y entrait rapin, on pouvait en sortir élève du gouvernement à Rome. Cette opération ne se faisait pas sans des tapages extraordinaires aux époques de l’année où l’on enfermait les concurrents dans ces loges. Pour être lauréats, ils devaient avoir fait, dans un temps donné, qui sculpteur, le modèle en terre glaise d’une statue ; qui peintre, l’un des tableaux que vous pouvez voir à l’école des Beaux-Arts ; qui musicien, une cantate ; qui architecte, un projet de monument. Au moment où ces lignes sont écrites, cette ménagerie a été transportée de ces bâtiments sombres et froids dans l’élégant palais des Beaux-Arts, à quelques pas de là. Des fenêtres de madame Bridau, l’œil plongeait sur ces loges grillées, vue profondément triste. Au nord, la perspective est bornée par le dôme de l’Institut. En remontant la rue, les yeux ont pour toute récréation la file de fiacres qui stationnent dans le haut de la rue Mazarine. Aussi la veuve finit-elle par mettre sur ses fenêtres trois caisses pleines de terre, où elle cultiva l’un de ces jardins aériens que menacent les ordonnances de police, et dont les végétations raréfient le jour et l’air. Cette maison, adossée à une autre qui donne rue de Seine, a nécessairement peu de profondeur, l’escalier y tourne sur lui-même. Ce troisième étage est le dernier. Trois fenêtres, trois pièces : une salle à manger, un petit salon, une chambre à coucher ; et en face, de l’autre côté du palier, une petite cuisine au-dessus, deux chambres de garçon et un immense grenier sans destination. Madame Bridau choisit ce logement pour trois raisons : la modicité, il coûtait quatre cents francs, aussi fit-elle un bail de neuf ans ; la proximité du collége, elle était a peu de distance du lycée Impérial ; enfin elle restait dans le quartier où elle avait pris ses habitudes. L’intérieur de l’appartement fut en harmonie avec la maison. La salle à manger, tendue d’un petit papier jaune à fleurs vertes, et dont le carreau rouge ne fut pas frotté, n’eut que le strict nécessaire : une table, deux buffets, six chaises, le tout provenant de l’appartement quitté. Le salon fut orné d’un tapis d’Aubusson donné à Bridau lors du renouvellement du mobilier au Ministère. La veuve y mit un de ces meubles communs, en acajou, à têtes égyptiennes, que Jacob Desmalter fabriquait par grosses en 1806, et garni d’une étoffe en soie verte à rosaces blanches. Au-dessus du canapé, le portrait de Bridau fait au pastel par une main amie attirait aussitôt les regards. Quoique l’art pût y