Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, VI.djvu/94

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férentes liqueurs, Agathe était dans des transes mortelles sur le grand homme de la famille. Les trois sages de la Grèce s’étaient trop habitués à faire le même chemin tous les soirs, à monter l’escalier des deux veuves, à les trouver les attendant et prêtes à leur demander leurs impressions du jour pour jamais les quitter, ils venaient toujours faire leur partie dans ce petit salon vert. Le Ministère de l’Intérieur, livré aux épurations de 1816, avait conservé Claparon, un de ces trembleurs qui donnent à mi-voix les nouvelles du Moniteur en ajoutant : Ne me compromettez pas ! Desroches, mis à la retraite quelque temps après le vieux du Bruel, disputait encore sa pension. Ces trois amis, témoins du désespoir d’Agathe, lui donnèrent le conseil de faire voyager le colonel.

— On parle de conspirations, et votre fils, du caractère dont il est, sera victime de quelque affaire, car il y a toujours des traîtres.

— Que diable ! il est du bois dont son Empereur faisait les maréchaux, dit Bruel à voix basse en regardant autour de lui, et il ne doit pas abandonner son état. Qu’il aille servir dans l’Orient, aux Indes….

— Et sa santé ? dit Agathe.

— Pourquoi ne prend-il pas une place ? dit le vieux Desroches, il se forme tant d’administrations particulières ! Moi, je vais entrer chef de bureau dans une Compagnie d’Assurances, dès que ma pension de retraite sera réglée.

— Philippe est un soldat, il n’aime que la guerre, dit la belliqueuse Agathe.

— Il devrait alors être sage et demander à servir…

— Ceux-ci ? s’écria la veuve. Oh ! ce n’est pas moi qui le lui conseillerai jamais.

— Vous avez tort, reprit du Bruel. Mon fils vient d’être placé par le duc de Navarreins. Les Bourbons sont excellents pour ceux qui se rallient sincèrement. Votre fils serait nommé lieutenant-colonel à quelque régiment.

— On ne veut que des nobles dans la cavalerie, et il ne sera jamais colonel, s’écria la Descoings.

Agathe effrayée supplia Philippe de passer à l’étranger et de s’y mettre au service d’une puissance quelconque qui accueillerait toujours avec faveur un officier d’ordonnance de l’Empereur.

— Servir les étrangers ?… s’écria Philippe avec horreur.

Agathe embrassa son fils avec effusion en disant : — C’est tout son père.