Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/106

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mouvements tumultueux me dirent qu’elle avait grand’peur. — C’est une horrible vision, reprit-elle, je ne saurais rester là plus long-temps. Si je le regarde encore, je croirai que la mort elle-même est venue me chercher. Mais vit-il ?

Elle porta la main sur le phénomène avec cette hardiesse que les femmes puisent dans la violence de leurs désirs ; mais une sueur froide sortit de ses pores, car aussitôt qu’elle eut touché le vieillard, elle entendit un cri semblable à celui d’une crécelle. Cette aigre voix, si c’était une voix, s’échappa d’un gosier presque desséché. Puis à cette clameur succéda vivement une petite toux d’enfant, convulsive et d’une sonorité particulière. À ce bruit, Marianina, Filippo et madame de Lanty jetèrent les yeux sur nous, et leurs regards furent comme des éclairs. La jeune femme aurait voulu être au fond de la Seine. Elle prit mon bras et m’entraîna vers un boudoir. Hommes et femmes, tout le monde nous fit place. Parvenus au fond des appartements de réception, nous entrâmes dans un petit cabinet demi-circulaire. Ma compagne se jeta sur un divan, palpitant d’effroi, sans savoir où elle était.

— Madame, vous êtes folle, lui dis-je.

— Mais, reprit-elle après un moment de silence pendant lequel je l’admirai, est-ce ma faute ? Pourquoi madame de Lanty laisse-t-elle errer des revenants dans son hôtel ?

— Allons, répondis-je, vous imitez les sots. Vous prenez un petit vieillard pour un spectre.

— Taisez-vous, répliqua-t-elle avec cet air imposant et railleur que toutes les femmes savent si bien prendre quand elles veulent avoir raison. — Le joli boudoir ! s’écria-t-elle en regardant autour d’elle. Le satin bleu fait toujours à merveille en tenture. Est-ce frais ! Ah ! le beau tableau ! ajouta-t-elle en se levant, et allant se mettre en face d’une toile magnifiquement encadrée.

Nous restâmes pendant un moment dans la contemplation de cette merveille, qui semblait due à quelque pinceau surnaturel. Le tableau représentait Adonis étendu sur une peau de lion. La lampe suspendue au milieu du boudoir, et contenue dans un vase d’albâtre, illuminait alors cette toile d’une lueur douce qui nous permit de saisir toutes les beautés de la peinture.

— Un être si parfait existe-t-il ? me demanda-t-elle après avoir examiné, non sans un doux sourire de contentement, la grâce exquise des contours, la pose, la couleur, les cheveux, tout enfin.