Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/147

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— À vous, dit Lavienne au vieillard à barbe blanche.

Bianchon tira le domestique à part, et s’enquit du temps que prendrait cette audience.

— Monsieur a eu deux cents personnes ce matin, en voici encore quatre-vingts à faire, dit Lavienne ; monsieur le docteur aurait le temps d’aller à ses premières visites.

— Mon garçon, dit le juge en se retournant et saisissant Horace par le bras, tiens, voici deux adresses ici près, l’une rue de Seine, et l’autre rue de l’Arbalète. Cours-y. Rue de Seine, une jeune fille vient de s’asphyxier, et tu trouveras rue de l’Arbalète un homme à faire entrer à ton hôpital. Je t’attendrai pour déjeuner.

Bianchon revint au bout d’une heure. La rue du Fouarre était déserte, le jour commençait à poindre, son oncle remontait chez lui, le dernier pauvre de qui le magistrat venait de panser l’âme s’en allait, le sac de Lavienne était vide.

— Eh ! bien, comment vont-ils ? dit le juge au docteur en montant l’escalier.

— L’homme est mort, répondit Bianchon, la jeune fille s’en tirera.

Depuis que l’œil et la main d’une femme y manquaient, l’appartement où demeurait Popinot avait pris une physionomie en harmonie avec celle du maître. L’incurie de l’homme emporté par une pensée dominante imprimait son cachet bizarre en toutes choses. Partout une poussière invétérée, partout dans les objets ces changements de destination dont l’industrie rappelait celle des ménages de garçon. C’était des papiers dans des vases de fleurs, des bouteilles d’encre vides sur les meubles, des assiettes oubliées, des briquets phosphoriques convertis en bougeoirs au moment où il fallait faire une recherche, des déménagements partiels commencés et oubliés, enfin tous les encombrements et les vides occasionnés par des pensées de rangement abandonnées. Mais le cabinet du magistrat, particulièrement remué par ce désordre incessant, accusait sa marche sans haltes, l’entraînement de l’homme accablé d’affaires, poursuivi par des nécessités qui se croisent. La bibliothèque était comme au pillage, les livres traînaient, les uns empilés le dos dans les pages ouvertes, les autres tombés les feuillets contre terre ; les dossiers de procédure disposés en ligne, le long du corps de la bibliothèque, encombraient le parquet. Ce parquet n’avait pas été frotté depuis deux ans. Les tables et les meubles