Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/166

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— Avez-vous fait, madame, demanda le juge, des démarches auprès de lui pour obtenir vos enfants ?

Oui, monsieur ; mais elles ont été toutes inutiles. Il est bien cruel pour une mère d’être privée de l’affection de ses enfants, surtout quand ils peuvent donner des jouissances auxquelles tiennent toutes les femmes.

— L’aîné doit avoir seize ans, dit le juge.

— Quinze ! répondit vivement la marquise.

Ici Bianchon regarda Rastignac. Madame d’Espard se mordit les lèvres.

— En quoi l’âge de mes enfants vous importe-t-il ?

— Ha ! madame, dit le juge sans avoir l’air de faire attention à la portée de ses paroles, un jeune garçon de quinze ans et son frère, âgé sans doute de treize ans, ont des jambes et de l’esprit, ils pourraient venir vous voir en cachette ; s’ils ne viennent pas, ils obéissent à leur père et pour lui obéir en ce point il faut l’aimer beaucoup.

— Je ne vous comprends pas, dit la marquise.

— Vous ignorez peut-être, répondit Popinot, que votre avoué prétend dans votre requête que vos chers enfants sont très-malheureux près de leur père…

Madame d’Espard dit avec une charmante innocence : — Je ne sais pas ce que l’avoué m’a fait dire.

— Pardonnez-moi ces inductions, mais la justice pèse tout, reprit Popinot. Ce que je vous demande, madame, est inspiré par le désir de bien connaître l’affaire. Selon vous, monsieur d’Espard vous aurait quittée sur le prétexte le plus frivole. Au lieu d’aller à Briançon, où il voulait vous emmener, il est resté à Paris. Ce point n’est pas clair. Connaissait-il cette dame Jeanrenaud avant son mariage ?

— Non, monsieur, répondit la marquise avec une sorte de déplaisir visible seulement pour Rastignac et pour le chevalier d’Espard.

Elle se trouvait blessée d’être mise sur la sellette par ce juge, quand elle se proposait d’en pervertir le jugement ; mais, comme l’attitude de Popinot restait niaise à force de préoccupation, elle finit par attribuer ses questions au génie interrogant du bailli de Voltaire.

— Mes parents, dit-elle en continuant, m’ont mariée à l’âge de