Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/171

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que la loi m’impose, aux recherches rigoureuses qu’elle exige alors qu’il s’agit de prononcer l’interdiction d’un père de famille qui se trouve dans toute la force de l’âge. Aussi excuserez-vous, madame la marquise, les objections que j’ai l’honneur de vous soumettre, et sur lesquelles il vous est facile de me donner quelques explications. Quand un homme est interdit pour le fait de démence, il lui faut un curateur ; qui serait le curateur ?

— Son frère, dit la marquise.

Le chevalier salua. Il y eut un moment de silence qui fut gênant pour ces cinq personnes en présence. En se jouant, le juge avait découvert la plaie de cette femme. La figure bourgeoisement bonnasse de Popinot, de qui la marquise, le chevalier et Rastignac étaient disposés à rire, avait acquis à leurs yeux sa physionomie véritable. En le regardant à la dérobée, tous trois apercevaient les mille significations de cette bouche éloquente. L’homme ridicule devenait un juge perspicace. Son attention à évaluer le boudoir s’expliquait : il était parti de l’éléphant doré qui soutenait la pendule pour questionner ce luxe, et venait de lire au fond du cœur de cette femme.

— Si le marquis d’Espard est fou de la Chine, dit Popinot en montrant la garniture de cheminée, j’aime à voir que les produits vous en plaisent également. Mais peut-être est-ce à monsieur le marquis que vous devez les charmantes chinoiseries que voici, dit-il en désignant de précieuses babioles.

Cette raillerie de bon goût fit sourire Bianchon, pétrifia Rastignac, et la marquise mordit ses lèvres minces.

— Monsieur, dit madame d’Espard, au lieu d’être le défenseur d’une femme placée dans la cruelle alternative de voir sa fortune et ses enfants perdus, ou de passer pour l’ennemie de son mari, vous m’accusez ! vous soupçonnez mes intentions ! Avouez que votre conduite est étrange…

— Madame, répondit vivement le juge, la circonspection que le tribunal apporte en ces sortes d’affaires vous aurait donné, dans tout autre juge, un critique peut-être moins indulgent que je ne le suis. D’ailleurs, croyez-vous que l’avocat de monsieur d’Espard sera très-complaisant ? Ne saura-t-il pas envenimer des intentions qui peuvent être pures et désintéressées ? Votre vie lui appartiendra, il la fouillera sans mettre à ses recherches la respectueuse déférence que j’ai pour vous.