Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/173

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pard, il ignore donc son influence, son pouvoir occulte sur le monde ? Elle aura demain chez elle le Garde des Sceaux…

— Mon cher, que veux-tu que j’y fasse, dit Bianchon, ne t’ai-je pas prévenu ? Ce n’est pas un homme coulant.

— Non, dit Rastignac, c’est un homme à couler.

Le docteur fut forcé de saluer la marquise et son muet chevalier pour courir après Popinot, qui, n’étant pas homme à demeurer dans une situation gênante, trottinait dans les salons.

— Cette femme-là doit cent mille écus, dit le juge en montant dans le cabriolet de son neveu.

— Que pensez-vous de l’affaire ?

— Moi, dit le juge, je n’ai jamais d’opinion avant d’avoir tout examiné. Demain, de bon matin, je manderai madame Jeanrenaud par-devant moi, dans mon cabinet, à quatre heures, pour lui demander des explications sur les faits qui lui sont relatifs, car elle est compromise.

— Je voudrais bien savoir la fin de cette affaire.

— Eh ! mon Dieu, ne vois-tu pas que la marquise est l’instrument de ce grand homme sec qui n’a pas soufflé mot. Il y a un peu de Caïn chez lui, mais du Caïn qui cherche sa massue dans le Tribunal, où, malheureusement, nous avons quelques épées de Samson.

— Ah ! Rastignac, s’écria Bianchon, que fais-tu dans cette galère ?

— Nous sommes accoutumés à voir de ces petits complots dans les familles : il ne se passe pas d’année qu’il n’y ait des jugements de non-lieu sur des demandes en interdiction. Dans nos mœurs, on n’est pas déshonoré par ces sortes de tentatives ; tandis que nous envoyons aux galères un pauvre diable pour avoir cassé la vitre qui le séparait d’une sébile pleine d’or. Notre code n’est pas sans défauts.

— Mais les faits de la requête ?

— Mon garçon, tu ne connais donc pas encore les romans judiciaires que les clients imposent à leurs avoués ? Si les avoués se condamnaient à ne présenter que la vérité, ils ne gagneraient pas l’intérêt de leurs charges.

Le lendemain, à quatre heures après midi, une grosse dame, qui ressemblait assez à une futaille à laquelle on aurait mis une robe et une ceinture, suait et soufflait en montant l’escalier du juge Popinot. Elle était à grand’peine sortie d’un landau vert qui lui