Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/185

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— Comment, monsieur, n’ai-je pas été prévenu d’une semblable requête ? lui demanda-t-il.

— Monsieur le marquis, les personnes dont l’interdiction est requise n’étant pas censées jouir de leur raison, la signification de la requête est inutile. Le devoir du Tribunal est de vérifier, avant tout, les allégations des requérants.

— Rien n’est plus juste, répondit le marquis. Eh ! bien, monsieur, veuillez m’indiquer la manière dont je dois me conduire….

— Vous n’avez qu’à répondre à mes demandes, en n’omettant aucun détail. Quelque délicates que soient les raisons qui vous auraient porté à agir de manière à donner à madame d’Espard le prétexte de sa requête, parlez sans crainte. Il est inutile de vous faire observer que la magistrature connaît ses devoirs, et qu’en semblable occurrence le secret le plus profond…

— Monsieur, dit le marquis dont les traits accusèrent une douleur vraie, si de mes explications il résultait un blâme de la conduite tenue par madame d’Espard, qu’en adviendrait-il ?

— Le Tribunal pourrait exprimer une censure dans les motifs de son jugement.

— Cette censure est-elle facultative ? Si je stipulais avec vous, avant de vous répondre, qu’il ne sera rien dit de blessant pour madame d’Espard au cas où votre rapport me serait favorable, le Tribunal aurait-il égard à ma prière ?

Le juge regarda le marquis, et ces deux hommes échangèrent alors des pensées d’une égale noblesse.

— Noël, dit Popinot à son greffier, retirez-vous dans l’autre pièce. Si vous êtes utile, je vous rappellerai. — Si, comme je suis en ce moment disposé à le croire, il se rencontre en cette affaire des malentendus, je puis vous promettre, monsieur, que, sur votre demande, le Tribunal agirait avec courtoisie, reprit-il en s’adressant au marquis quand le greffier fut sorti. Il est un premier fait allégué par madame d’Espard, le plus grave de tous, et sur lequel je vous prie de m’éclairer, dit le juge après une pause. Il s’agit de la dissipation de votre fortune au profit d’une dame Jeanrenaud, veuve d’un conducteur de bateaux, ou plutôt au profit de son fils le colonel, que vous auriez placé, pour qui vous auriez épuisé la faveur dont vous jouissez auprès du Roi, enfin envers lequel vous auriez poussé la protection jusqu’à lui procurer un bon mariage. La re-