Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/193

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Vous, vous voyez, monsieur, lui dit le marquis en reprenant son bégaiement, vous voyez que la justice, que la justice peut entrer ici, ici, à toute heure ; oui, à toute heure ici. S’il y a des fous, s’il y a des fous, ce ne peut être que les enfants, qui sont un peu fous de leur père, et le père qui est très-fou de ses enfants ; mais c’est une folie de bon aloi.

En ce moment la voix de madame Jeanrenaud se fit entendre dans l’antichambre, et la bonne femme entra dans le salon malgré les observations du valet de chambre.

— Je ne vais pas par quatre chemins, moi ! criait-elle. Oui, monsieur le marquis, dit-elle en faisant un salut à la ronde, il faut que je vous parle à l’instant même. Parbleu ! je suis venue encore trop tard, puisque voilà monsieur le juge criminel.

— Criminel ! dirent les deux enfants.

— Il y avait de bien bonnes raisons pour que je ne vous trouvasse pas chez vous, puisque vous étiez ici. Ah, bah ! la justice est toujours là quand il s’agit de mal faire. Je viens, monsieur le marquis, vous dire que je suis d’accord avec mon fils de tout vous rendre, puisqu’il y va de notre honneur, qui est menacé. Mon fils et moi, nous aimons mieux tout vous restituer que de vous causer le plus léger chagrin. En vérité, faut être bête comme des pots sans anse pour vouloir vous interdire…

— Interdire notre père ? crièrent les deux enfants en se serrant contre le marquis. Qu’y a-t-il ?

— Chut, madame ! dit Popinot.

— Mes enfants, laissez-nous, dit le marquis.

Les deux jeunes gens allèrent au jardin.

— Madame, dit le juge, les sommes que monsieur le marquis vous a remises vous sont légitimement dues, quoiqu’elles vous aient été données en vertu d’un principe de probité très-étendu. Si les gens qui possèdent des biens confisqués de quelque manière que ce soit, même par des manœuvres perfides, étaient, après cent cinquante ans, obligés à des restitutions, il se trouverait en France peu de propriétés légitimes. Les biens de Jacques Cœur ont enrichi vingt familles nobles, les confiscations abusives prononcées par les Anglais au profit de leurs adhérents, quand l’Anglais possédait une partie de la France, ont fait la fortune de plusieurs maisons princières. Notre législation permet à monsieur le marquis de disposer de ses revenus à titre gratuit sans qu’il puisse être accusé de dissipation. L’interdiction