Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/241

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magasin, au moment où le garçon en ôtait les volets numérotés. Birotteau, se voyant seul, attendit le lever de ses commis, et se mit sur le pas de sa porte en examinant comment son garçon de peine nommé Raguet s’acquittait de ses fonctions, et Birotteau s’y connaissait ! Malgré le froid, le temps était superbe.

— Popinot, va prendre ton chapeau, mets tes souliers, fais descendre monsieur Célestin, nous allons causer tous deux aux Tuileries, dit-il en voyant descendre Anselme.

Popinot, cet admirable contrepied de du Tillet, et qu’un de ces heureux hasards qui font croire à la Providence avait mis auprès de César, joue un si grand rôle dans cette histoire qu’il est nécessaire de le profiler ici. Madame Ragon était une demoiselle Popinot. Elle avait deux frères. L’un, le plus jeune de la famille, se trouvait alors juge suppléant au tribunal de première instance de la Seine. L’aîné avait entrepris le commerce des laines brutes, y avait mangé sa fortune, et mourut en laissant à la charge des Ragon et de son frère le juge qui n’avait pas d’enfants, son fils unique, déjà privé d’une mère morte en couches. Pour donner un état à son neveu, madame Ragon l’avait mis dans la parfumerie en espérant le voir succéder à Birotteau. Anselme Popinot était petit et pied-bot, infirmité que le hasard a donnée à lord Byron, à Walter Scott, à monsieur de Talleyrand, pour ne pas décourager ceux qui en sont affligés. Il avait ce teint éclatant et plein de taches de rousseur qui distingue les gens dont les cheveux sont rouges ; mais son front pur, ses yeux de la couleur des agates gris-veiné, sa jolie bouche, sa blancheur et la grâce d’une jeunesse pudique, la timidité que lui inspirait son vice de conformation réveillaient à son profit des sentiments protecteurs : on aime les faibles. Popinot intéressait. Le petit Popinot, tout le monde l’appelait ainsi, tenait à une famille essentiellement religieuse, où les vertus étaient intelligentes, où la vie était modeste et pleine de belles actions. Aussi l’enfant, élevé par son oncle le juge, offrait-il en lui la réunion des qualités qui rendent la jeunesse si belle : sage et affectueux, un peu honteux, mais plein d’ardeur, doux comme un mouton, mais courageux au travail, dévoué, sobre, il était doué de toutes les vertus d’un chrétien des premiers temps de l’Église.

En entendant parler d’une promenade aux Tuileries, la proposition la plus excentrique que pût faire à cette heure son imposant patron, Popinot crut qu’il voulait lui parler d’établissement ; le