Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/243

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apparent orgueil sur lui par Césarine ; au fond de ses yeux bleus, il avait osé lire une secrète pensée pleine de caressantes espérances. Il allait donc, travaillé par son espoir du moment, tremblant, silencieux, ému, comme pourraient l’être en semblable occurrence tous les jeunes gens pour qui la vie est en bourgeon.

— Popinot, lui dit le brave marchand, ta tante va-t-elle bien ?

— Oui, monsieur.

— Cependant elle me paraît soucieuse depuis quelque temps, y aurait-il quelque chose qui clocherait chez elle ? Écoute-moi, garçon, faut pas trop faire le mystérieux avec moi, je suis quasi de la famille, voilà vingt-cinq ans que je connais ton oncle Ragon. Je suis entré chez lui en gros souliers ferrés, arrivant de mon village. Quoique l’endroit s’appelle les Trésorières, j’avais pour toute fortune un louis d’or que m’avait donné ma marraine, feu madame la marquise d’Uxelles, une parente à monsieur le duc et madame la duchesse de Lenoncourt, qui sont de nos pratiques. Aussi ai-je prié tous les dimanches pour elle et pour toute sa famille ; j’envoie en Touraine à sa nièce, madame de Mortsauf, toutes ses parfumeries. Il me vient toujours des pratiques par eux, comme, par exemple, monsieur de Vandenesse, qui prend pour douze cents francs par an. On ne serait pas reconnaissant par bon cœur, on devrait l’être par calcul : mais je te veux du bien sans arrière-pensée et pour toi.

— Ah ! monsieur, vous aviez, si vous me permettez de vous le dire, une fière caboche !

— Non, mon garçon, non, cela ne suffit point. Je ne dis pas que ma caboche n’en vaille pas une autre ; mais j’avais de la probité, mordicus ! mais j’ai eu de la conduite, mais je n’ai jamais aimé que ma femme. L’amour est un fameux véhicule, un mot heureux qu’a employé hier monsieur de Villèle à la tribune.

— L’amour ! dit Popinot. Oh ! monsieur, est-ce que…

— Tiens, tiens, voilà le père Roguin qui vient à pied par le haut de la place Louis XV, à huit heures. Qu’est-ce que le bonhomme fait donc là ? se dit César en oubliant Anselme Popinot et l’huile de noisette.

Les suppositions de sa femme lui revinrent à la mémoire, et, au lieu d’entrer dans le jardin des Tuileries, Birotteau s’avança vers le notaire pour le rencontrer. Anselme suivit son patron à distance, sans pouvoir s’expliquer le subit intérêt qu’il prenait à une chose