Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/288

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lieu d’une tirade, que tu t’es endetté de deux cent mille francs ?

— C’est vrai, ma femme, dit le parfumeur avec une fausse humilité. Comment paierons-nous cela, bon Dieu ? car il faut compter pour rien les terrains de la Madeleine destinés à devenir un jour le plus beau quartier de Paris.

— Un jour, César.

— Hélas ! dit-il en continuant sa plaisanterie, mes trois huitièmes ne me vaudront un million que dans six ans. Et comment payer deux cent mille francs ? reprit César en faisant un geste d’effroi. Eh ! bien, nous les paierons cependant avec cela, dit-il en tirant de sa poche une noisette prise chez madame Madou, et précieusement gardée.

Il montra la noisette entre ses deux doigts à Césarine et à Constance. Sa femme ne dit rien, mais Césarine intriguée dit en servant le café à son père : — Ah ! çà, papa, tu ris ?

Le parfumeur, aussi bien que ses commis, avait surpris pendant le dîner les regards jetés par Popinot à Césarine, il voulut éclaircir ses soupçons.

— Eh ! bien, fifille, cette noisette est cause d’une révolution au logis. Il y aura, dès ce soir, quelqu’un de moins sous notre toit.

Césarine regarda son père en ayant l’air de dire : Que m’importe !

— Popinot s’en va.

Quoique César fût un pauvre observateur et qu’il eût préparé sa dernière phrase autant pour tendre un piége à sa fille que pour arriver à sa création de la maison A. Popinot et compagnie, sa tendresse paternelle lui fit deviner les sentiments confus qui sortirent du cœur de sa fille, fleurirent en roses rouges sur ses joues, sur son front, et colorèrent ses yeux qu’elle baissa. César crut alors à quelques paroles échangées entre Césarine et Popinot. Il n’en était rien : ces deux enfants s’entendaient, comme tous les amants timides, sans s’être dit un mot.

Quelques moralistes pensent que l’amour est la passion la plus involontaire, la plus désintéressée, la moins calculatrice de toutes, excepté toutefois l’amour maternel. Cette opinion comporte une erreur grossière. Si la plupart des hommes ignorent les raisons qui font aimer, toute sympathie physique ou morale n’en est pas moins basée sur des calculs faits par l’esprit, le sentiment ou la brutalité. L’amour est une passion essentiellement égoïste. Qui dit égoïsme,