Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/458

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vengeresse de Pillerault, qui, sans rien savoir, regardait cet homme comme un scélérat.

Matifat reconnut César. Aussitôt les négociants les mieux famés entourèrent l’ancien parfumeur et lui firent une ovation boursière ; il reçut les compliments les plus flatteurs, des poignées de main qui réveillaient bien des jalousies, excitaient quelques remords, car sur cent personnes qui se promenaient là trente avaient liquidé. Gigonnet et Gobseck, qui causaient dans un coin, regardèrent le vertueux parfumeur comme les physiciens ont dû regarder le premier gymnote électrique qui leur fut amené. Ce poisson, armé de la puissance d’une bouteille de Leyde, est la plus grande curiosité du règne animal. Après avoir aspiré l’encens de son triomphe, César remonta dans son fiacre et se mit en route pour revenir dans sa maison où se devait signer le contrat de mariage de sa chère Césarine et du dévoué Popinot. Il avait un rire nerveux qui frappa ses trois vieux amis.

Un défaut de la jeunesse de croire tout le monde fort comme elle est forte, défaut qui tient d’ailleurs à ses qualités : au lieu de voir les hommes et les choses à travers des besicles, elle les colore des reflets de sa flamme, et jette son trop de vie jusque sur les vieilles gens. Comme César et Constance, Popinot conservait dans sa mémoire une fastueuse image du bal donné par Birotteau. Durant ces trois années d’épreuves, Constance et César avaient, sans se le dire, souvent entendu l’orchestre de Collinet, revu l’assemblée fleurie, et goûté cette joie si cruellement punie, comme Adam et Ève durent penser parfois à ce fruit défendu qui donna la mort et la vie à toute leur postérité, car il paraît que la reproduction des anges est un des mystères du ciel. Mais Popinot pouvait songer à cette fête, sans remords, avec délices : Césarine dans toute sa gloire s’était promise à lui pauvre ; pendant cette soirée, il avait eu l’assurance d’être aimé pour lui-même ! Aussi, quand il avait acheté l’appartement restauré par Grindot à Célestin en stipulant que tout y resterait intact, quand il avait religieusement conservé les moindres choses appartenant à César et à Constance, rêvait-il de donner son bal, un bal de noces. Il avait préparé cette fête avec amour, en imitant son patron seulement dans les dépenses nécessaires et non dans les folies : les folies étaient faites. Ainsi le dîner dut être servi par Chevet, les convives étaient à peu près les mêmes. L’abbé Loraux remplaçait le grand chancelier de la Légion-d’Honneur, le