Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/55

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femme, j’ai résolu de me sacrifier entièrement à votre bonheur…

— Cela est impossible, s’écria-t-elle en laissant échapper un mouvement convulsif. Songez donc que vous devriez alors renoncer à vous-même et d’une manière authentique…

— Comment, dit le colonel, ma parole ne vous suffit pas ?

Le mot authentique tomba sur le cœur du vieillard et y réveilla des défiances involontaires. Il jeta sur sa femme un regard qui la fit rougir, elle baissa les yeux, et il eut peur de se trouver obligé de la mépriser. La comtesse craignait d’avoir effarouché la sauvage pudeur, la probité sévère d’un homme dont le caractère généreux, les vertus primitives lui étaient connus. Quoique ces idées eussent répandu quelques nuages sur leurs fronts, la bonne harmonie se rétablit aussitôt entre eux. Voici comment. Un cri d’enfant retentit au loin.

— Jules, laissez votre sœur tranquille, s’écria la comtesse.

— Quoi, vos enfants sont ici ? dit le colonel.

— Oui, mais je leur ai défendu de vous importuner.

Le vieux soldat comprit la délicatesse, le tact de femme renfermé dans ce procédé si gracieux, et prit la main de la comtesse pour la baiser.

— Qu’ils viennent donc, dit-il.

La petite fille accourait pour se plaindre de son frère.

— Maman !

— Maman !

— C’est lui qui…

— C’est elle…

Les mains étaient étendues vers la mère, et les deux voix enfantines se mêlaient. Ce fut un tableau soudain et délicieux !

— Pauvres enfants ! s’écria la comtesse en ne retenant plus ses larmes, il faudra les quitter ; à qui le jugement les donnera-t-il ? On ne partage pas un cœur de mère, je les veux, moi !

— Est-ce vous qui faites pleurer maman ! dit Jules en jetant un regard de colère au colonel.

— Taisez-vous, Jules, s’écria la mère d’un air impérieux.

Les deux enfants restèrent debout et silencieux, examinant leur mère et l’étranger avec une curiosité qu’il est impossible d’exprimer par des paroles.

— Oh ! oui, reprit-elle, si l’on me sépare du comte, qu’on me laisse les enfants, et je serai soumise à tout…