Page:Œuvres complètes de H. de Balzac, X.djvu/83

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haute et la pensée rieuse. Enfin, pour tout exprimer par un mot, Horace était le Pylade de plus d’un Oreste, les créanciers étant pris aujourd’hui comme la figure la plus réelle des Furies antiques. Il portait sa misère avec cette gaieté qui peut-être est un des plus grands éléments du courage, et comme tous ceux qui n’ont rien, il contractait peu de dettes. Sobre comme un chameau, alerte comme un cerf, il était ferme dans ses idées et dans sa conduite. La vie heureuse de Bianchon commença du jour où l’illustre chirurgien acquit la preuve des qualités et des défauts qui, les uns aussi bien que les autres, rendent doublement précieux à ses amis le docteur Horace Bianchon. Quand un chef de clinique prend dans son giron un jeune homme, ce jeune homme a, comme on dit, le pied dans l’étrier. Desplein ne manquait pas d’emmener Bianchon pour se faire assister par lui dans les maisons opulentes où presque toujours quelque gratification tombait dans l’escarcelle de l’interne, et où se révélaient insensiblement au provincial les mystères de la vie parisienne ; il le gardait dans son cabinet lors de ses consultations, et l’y employait ; parfois, il l’envoyait accompagner un riche malade aux Eaux ; enfin il lui préparait une clientèle. Il résulte de ceci qu’au bout d’un certain temps, le tyran de la chirurgie eut un Séide. Ces deux hommes, l’un au faîte des honneurs et de sa science, jouissant d’une immense fortune et d’une immense gloire ; l’autre, modeste Oméga, n’ayant ni fortune ni gloire, devinrent intimes. Le grand Desplein disait tout à son interne ; l’interne savait si telle femme s’était assise sur une chaise auprès du maître, ou sur le fameux canapé qui se trouvait dans le cabinet et sur lequel Desplein dormait : Bianchon connaissait les mystères de ce tempérament de lion et de taureau, qui finit par élargir, amplifier outre mesure le buste du grand homme, et causa sa mort par le développement du cœur. Il étudia les bizarreries de cette vie si occupée, les projets de cette avarice si sordide, les espérances de l’homme politique caché dans le savant ; il put prévoir les déceptions qui attendaient le seul sentiment enfoui dans ce cœur moins de bronze que bronzé.

Un jour, Bianchon dit à Desplein qu’un pauvre porteur d’eau du quartier Saint-Jacques avait une horrible maladie causée par les fatigues et la misère ; ce pauvre Auvergnat n’avait mangé que des pommes de terre dans le grand hiver de 1821. Desplein laissa tous ses malades. Au risque de crever son cheval, il vola, suivi de Bian-