Page:Œuvres complètes de H. de Balzac (éd. M. Levy), tome 20, 1870.djvu/635

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aurait payé de la moitié de son empire, et qui surtout est le plaisir des malheureux ? Ce plaisir, je le niais, et l’on me devait cet axiome :

VI

Fumer un cigare, c’est fumer du feu.

Je dois à George Sand la clef de ce trésor ; mais je n’admets que le houka de l’Inde, ou le narguilé de la Perse. En fait de jouissances matérielles, les Orientaux nous sont décidément supérieurs.

Le houka, comme le narguilé, est un appareil très-élégant ; il offre aux yeux des formes inquiétantes et bizarres qui donnent une sorte de supériorité aristocratique à celui qui s’en sert aux yeux d’un bourgeois étonné. C’est un réservoir, ventru comme un pot du Japon, lequel supporte une espèce de godet en terre cuite où se brûlent le tabac, le patchouli, les substances dont vous aspirez la fumée, car on peut fumer plusieurs produits botaniques, tous plus divertissants les uns que les autres. La fumée passe par de longs tuyaux en cuir de plusieurs aunes, garnis de soie, de fil d’argent, et dont le bec plonge dans le vase au-dessus de l’eau parfumée qu’il contient, et dans laquelle trempe le tuyau qui descend de la cheminée supérieure. Votre aspiration tire la fumée, contrainte à traverser l’eau pour venir à vous par l’horreur que le vide cause à la nature. En passant par cette eau, la fumée s’y dépouille de son empyreume, elle s’y rafraîchit, s’y parfume sans perdre les qualités essentielles que produit la carbonisation de la plante, elle se subtilise dans les spirales du cuir, et vous arrive au palais, pure et parfumée. Elle s’étale sur vos papilles, elle les sature, et monte au cerveau, comme des prières mélodieuses et embaumées vers la Divinité. Vous êtes couché sur un divan, vous êtes occupé sans rien faire, vous pensez sans fatigue, vous vous grisez sans boire, sans dégoût, sans les retours sirupeux du vin de Champagne, sans les fatigues nerveuses du café. Votre cerveau acquiert des facultés nouvelles, vous ne sentez plus la calotte osseuse et pesante de