Page:Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau - II.djvu/210

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Elle a déploré si longtemps l’ouvrage de ses charmes, ah ! qu’elle voie une fois l’ouvrage de sa vertu !

P.-S. ─ Milord Edouard est retenu pour quelques temps encore ici par des affaires ; s’il m’est permis de vous voir, pourquoi ne prendrais-je pas les devants pour être plus tôt auprès de vous ?

Lettre IV de M. de Wolmar

Quoique nous ne nous connaissions pas encore, je suis chargé de vous écrire. La plus sage et la plus chérie des femmes vient d’ouvrir son cœur à son heureux époux. Il vous croit digne d’avoir été aimé d’elle, et il vous offre sa maison. L’innocence et la paix y règnent ; vous y trouverez l’amitié, l’hospitalité, l’estime, la confiance. Consultez votre cœur ; et, s’il n’y a rien là qui vous effraye, venez sans crainte. Vous ne partirez point d’ici sans y laisser un ami.

Wolmar.

P.-S. ─ Venez, mon ami ; nous vous attendons avec empressement. Je n’aurai pas la douleur que vous nous deviez un refus.

Julie.

Lettre V de Madame d’Orbe

Et dans laquelle était incluse la précédente.

Bien arrivé ! cent fois le bien arrivé, cher Saint-Preux ! car je prétends que ce nom vous demeure, au moins dans notre société. C’est, je crois, vous dire assez qu’on n’entend pas vous en exclure, à moins que cette exclusion ne vienne de vous. En voyant par la lettre ci-jointe que j’ai fait plus que vous ne me demandiez, apprenez à prendre un peu plus de confiance en vos amis, et à ne plus reprocher à leur cœur des chagrins qu’ils partagent quand la raison les force à vous en donner. M. de Wolmar veut vous voir ; il vous offre sa maison, son amitié, ses conseils : il n’en fallait pas tant pour calmer toutes mes craintes sur votre voyage, et je m’offenserais moi-même si je pouvais un moment me défier de vous. Il fait plus, il prétend vous guérir, et dit que ni Julie, ni lui, ni vous, ni moi, ne pouvons être parfaitement heureux sans cela. Quoique j’attende beaucoup de sa sagesse, et plus de votre vertu, j’ignore quel sera le succès de cette entreprise. Ce que je sais bien, c’est qu’avec la femme qu’il a, le soin qu’il veut prendre est une pure générosité pour vous.

Venez donc, mon aimable ami, dans la sécurité d’un cœur honnête, satisfaire l’empressement que nous avons tous de vous embrasser et de vous voir paisible et content ; venez dans votre pays et parmi vos amis vous délasser de vos voyages et oublier tous les maux que vous avez soufferts. La dernière fois que vous me vîtes, j’étais une grave matrone, et mon amie était à l’extrémité ; mais à présent qu’elle se porte bien, et que je suis redevenue fille, me voilà tout aussi folle et presque aussi jolie qu’avant mon mariage. Ce qu’il y a du moins de bien sûr, c’est que je n’ai point changé pour vous, et que vous feriez bien des fois le tour du monde avant d’y trouver quelqu’un qui vous aimât comme moi.

Lettre VI à milord Edouard

Je me lève au milieu de la nuit pour vous écrire. Je ne saurais trouver un moment de repos. Mon cœur agité, transporté, ne peut se contenir au dedans de moi ; il a besoin de s’épancher. Vous qui l’avez si souvent garanti du désespoir, soyez le cher dépositaire des premiers plaisirs qu’il ait goûtés depuis si longtemps.

Je l’ai vue, milord ! mes yeux l’ont vue ! J’ai entendu sa voix ; ses mains ont touché les miennes ; elle m’a reconnu ; elle a marqué de la joie à me voir ; elle m’a appelé son ami, son cher ami ; elle m’a reçu dans sa maison