Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 1.djvu/219

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monde. Leur gloire demande qu’ils fassent bâtir un temple à son inventeur. Je vous dirai même, entre nous, que j’ai là-dessus un projet que je me propose de présenter aux états d’Artois. Je compte qu’il sera puissamment appuyé par le corps du clergé.

Mais c’est peu de manger de la tarte, il faut la manger encore en bonne compagnie ; j’ai eu cet avantage. Je reçus hier le plus grand honneur auquel je puisse jamais aspirer : j’ai dîné avec trois lieutenants et avec le fils d’un bailli, toute la magistrature des villages voisins était réunie à notre table. Au milieu de ce Sénat brillait M. le lieutenant de Carvin, comme Calypso au milieu de ses nymphes. Ah ! si vous aviez vu avec quelle bonté il conversait avec le reste de la compagnie comme un simple particulier, avec quelle indulgence il jugeait le Champagne qu’on lui versait, avec quel air satisfait il semblait sourire à son image, qui se peignait dans son verre ! J’ai vu tout cela moi… Et cependant voyez combien il est difficile de contenter le cœur humain. Tous mes vœux ne sont pas encore remplis, je me prépare à retourner bientôt à Arras, j’espère trouver en vous voyant un plaisir plus réel que ceux dont je vous ai parlé. Nous nous reverrons avec la même satisfaction qu’Ulysse et Télémaque après vingt ans d’absence. Je n’auroi pas de peine à oublier mes baillis et mes lieutenants. Quelque séduisant que puisse être un lieutenant, croyez-moi, Madame, il ne peut jamais entrer en parallèle avec vous.

Sa figure, lors même que le Champagne l’a colorée d’un doux incarnat, n’offre point encore ce charme que la nature seule donne à la vôtre et la compagnie de tous les baillis de l’univers ne saurait me dédommager de votre aimable entretien.

Je suis avec la plus sincère amitié, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

De Robespierre.
À Carvin, le 12 juin 1783.