Page:Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre, tome 10.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
546
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE

celle de la tyrannie ou celle de la raison. Lorsque celle-ci est proscrite comme un crime, la tyrannie règne ; quand les bons citoyens sont condamnés au silence, il faut bien que les scélérats dominent. Ici j’ai besoin d’épancher mon cœur ; vous avez besoin aussi d’entendre la vérité. Ne croyez pas que je vienne ici intenter aucune accusation ; un besoin plus pressant m’occupe, et je ne me charge pas des devoirs d’autrui ; il est tant de dangers imminents que cet objet n’a plus qu’une importance secondaire. Je viens, s’il est possible, dissiper de cruelles erreurs ; je viens étouffer les horribles ferments de discorde dont on veut embraser ce temple de la liberté et la République entière ; je viens dévoiler des abus qui tendent à la ruine de la patrie, et que votre probité seule peut réprimer. Si je vous dis aussi quelque chose des persécutions dont je suis l’objet, vous ne m’en ferez pas un crime ; vous n’avez rien de commun avec les tyrans qui me poursuivent : les cris de l’innocence opprimée ne sont point étrangers à vos cœurs ; vous ne méprisez point la justice et l’humanité, et vous n’ignorez pas que ces trames ne sont point étrangères à votre cause et à celle de la patrie[1].

Eh ! quel est donc le fondement de cet odieux système de terreur et de calomnies ? À qui devons-nous être redoutables, ou des ennemis ou des amis de la République ? Est-ce aux tyrans et aux fripons qu’il appartient de nous craindre, ou bien aux gens de bien et aux patriotes ? Nous redoutables aux patriotes ! nous qui les avons arrachés des mains de toutes les factions conjurées contre eux ! nous qui tous les jours[2] les disputons pour ainsi dire aux intrigants hypocrites qui osent les opprimer encore ! nous qui poursuivons les scélérats qui cherchent à prolonger leurs malheurs en nous trompant par d’inextricables impostures ! Nous redoutables à la Convention nationale ! Et que sommes-nous sans elle ? et qui a défendu la Convention nationale au péril de sa vie ? qui s’est dévoué pour sa conservation, quand des factions exécrables conspiraient sa ruine à la face de la France ? qui s’est dévoué pour sa gloire, quand les vils suppôts de la tyrannie prêchaient en son nom

  1. Lignes raturées : « Ils cherchent à détruire la liberté en calomniant ses défenseurs, c’est-à-dire les hommes qui veulent fonder l’ordre social sur les principes de la morale publique et de l’égalité, dans le sens raisonnable attaché à ce mot. Ils savent quel est l’empire des principes et de la vérité ; ils cherchent à détruire son influence sur le cœur des hommes en la présentant comme l’influence personnelle de ceux qui ont le courage de la dire ; ils donnent à cette influence le nom de tyrannie ; ils placent toujours les amis de la patrie entre leur devoir et la calomnie ; ils accusent d’ambition ceux qu’ils ne peuvent accuser d’aucun crime ; s’ils réclament contre l’oppression, on leur répond par de nouveaux outrages ; s’ils opposent l’énergie des principes à la persécution, on donne à cette énergie le nom de sédition ; l’impression de l’opinion publique indignée est citée comme la preuve de leur ambition. Quand on en est arrivé à ce point, la liberté est perdue. » (Note orig.)
  2. Sorb. : « toujours ».