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Séance du 8 thermidor An II

Non, Chaumette, non, FoucKé, la mort n’est point un sommeil étemel ! Citoyens, effacez des tombeaux cette maxime impie, qui jette un crêpe funèbre sur la nature et qui insulte à la mort ; gravez-y plutôt celle-ci : La mort est le commencement de l’immortalité[1]. Peuple, souviens-toi que, si dans la République la justice ne règne pas avec un empire absolu, et si ce mot ne signifie pas l’amour de l’égalité et de la patrie, la liberté n’est qu’un vain nom ! Peuple, toi que l’on craint, que l’on flatte et que l’on méprise ; toi, souverain reconnu, qu’on traite toujours en esclave, souviens-toi que partout où la justice ne règne pas, ce sont les passions des magistrats, et que le peuple a changé de chaînes, et non de destinées !

Souviens-toi qu’il existe dans ton sein une ligue de fripons qui lutte contre la vertu publique, et qui a plus d’influence que toi-même sur tes propres affaires, qui te redoute et te flatte en masse, mais te proscrit en détail dans la personne de tous les bons citoyens ! [2] Rappelle-toi que, loin de sacrifier cette nuée de fripons à ton bonheur, tes ennemis veulent te sacrifier à cette poignée de fripons, auteurs de tous nos maux, et seuls obstacles à la prospérité publique ! Sache que tout homme qui s’élèvera pour défendre ta cause[3] et la morale publique sera accablé d’avanies et proscrit par les fripons ; sache que tout ami de la liberté sera toujours placé entre un devoir et une calomnie ; que ceux qui ne pourront être accusés d’avoir trahi seront accusés d’ambition ; que l’influence de la probité et des principes sera comparée à la force de la tyrannie et à la violence des factions ; que ta confiance et ton estime seront des titres de proscription pour tous tes amis ; que les cris du patriotisme opprimé seront appelés des cris de sédition, et que, n’osant t’attaquer toi-même en masse, on te proscrira en détail dans la personne de tous les bons citoyens, jusqu’à ce que les ambitieux aient organisé leur tyrannie. Tel est l’empire des tyrans armés contre nous, telle est l’influence de leur ligue avec tous les hommes corrompus, toujours portés à les servir. Ainsi donc les scélérats nous imposent la loi de trahir le peuple, à peine d’être appelés dictateurs ! Souscrirons-nous à cette loi ? Non ! Défendons le peuple, au risque d’en être estimé ; qu’ils courent à l’échafaud par la route du crime, et nous par celle de la vertu.

Dirons-nous que tout est bien ? Continuerons-nous de louer par habitude ou par pratique ce qui est mal ? Nous perdrions la patrie. Révèlerons-nous les abus cachés ? Dénoncerons-nous les traîtres ? On nous dira que nous ébranlons les autorités constituées, que nous voulons acquérir à leurs dépens une influence personnelle. Que ferons-nous donc ? Notre devoir. Que peut-on objecter à celui qui veut dire la

  1. Voir E. Hamel, III, 729, note 1. Dans Sorb., tout cet alinéa a été supprimé.
  2. Sorb., passage supprimé, depuis « qui te redoute… ».
  3. Et non : « la cause » (E. Hamel, III, 732).