Page:Œuvres complètes de Platon (Chambry), tome 1.djvu/349

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Il se mit à rire et répondit :

— De gré, Socrate.

— Soit, repris-je. Mais tu sais donc mon nom ?

— Je serais inexcusable de ne pas le savoir, dit-il ; car on parle souvent de toi parmi les jeunes gens de mon âge, et je me souviens que, quand j’étais enfant, tu fréquentais Critias ici présent.

— C’est très bien, cela, dis-je. J’en serai d’autant plus franc avec toi [156b] pour t’expliquer en quoi consiste l’incantation ; car tout à l’heure encore je me demandais de quelle manière je t’en montrerais la vertu. Elle est en effet, Charmide, de telle nature qu’elle ne peut pas guérir la tête toute seule. Peut-être as-tu déjà entendu dire à de bons médecins, quand on vient les trouver pour un mal d’yeux, qu’il leur est impossible d’entreprendre une cure exclusivement pour les yeux et qu’il faut soigner la tête en même temps, si l’on veut [156c] remettre les yeux en bon état, et que de même imaginer qu’on puisse soigner la tête seule, indépendamment de tout le corps, est une pure folie. Et sur ce principe, ils appliquent un régime au corps entier et ils essayent de traiter et de guérir la partie avec le tout. Ne sais-tu pas que c’est là leur doctrine et qu’il en est réellement ainsi ?

— Assurément, dit-il.

— Ne trouves-tu pas qu’ils ont raison et n’approuves-tu pas leur principe ?

— Je l’approuve absolument », dit-il.

[156d] V. — Et moi, voyant qu’il était de mon avis, je repris courage ; peu à peu mon audace se réveilla, ma verve se ralluma et je poursuivis :

« Telle est aussi, Charmide, la nature de l’incantation. Je l’ai apprise là-bas, à l’armée, d’un médecin thrace, un de ces disciples de Zalmoxis dont la science va, dit-on, jusqu’à rendre les gens immortels. Ce Thrace disait que les médecins grecs avaient raison de professer la doctrine que je viens de rapporter ; mais, ajouta-t-il, Zalmoxis, notre roi, qui est un dieu, affirme [156e] que, s’il ne faut pas essayer de guérir les yeux sans la tête, ni la tête