Page:Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 2, 1870.djvu/608

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Il est toujours temps de dire ce qu'on a vu : il ne l'est pas toujours de taire ce qu'on a dit. Une fois lâchée, toute parole circule. De là vient, sans doute, que si c'est des hommes que nous apprenons à parler, ce sont les Dieux qui nous ont instruits à nous taire, puisqu'ils prescrivent pour les mystères et les initiations un profond silence. De son Ulysse si éloquent le poète a fait l'homme le plus silencieux. Son fils, son épouse, sa nourrice sont aussi discrets que lui. Entendez cette dernière

« Je serai ferme, autant que du marbre ou du fer ».

Voyez Ulysse maintenant. Assis auprès de sa femme,

« Il sait dissimuler ; et, bien qu'en ce moment
Lui-même au fond du cœur souffre profondément,
Il reste les yeux secs : sa prunelle immobile
Semble être de la corne ou fer... »

Toute sa personne est tellement remplie de l'empire qu'il exerce sur lui-même, sa raison est tellement maîtresse et souveraine, que sur son ordre ses yeux s'abstiennent de verser des larmes, sa langue, d'émettre un son. En lui le cœur n'a garde de trembler ou d'aboyer.

« Bien que souffrant, ce cœur obéit sans murmure ».

La puissance de la raison agit jusque sur les mouvements instinctifs du héros. Elle calme, elle rend dociles en lui et le sang et le souffle. Tels étaient aussi la plupart de ses compagnons.

Cette constance avec laquelle ils se laissent traîner et écraser contre le sol par le Cyclope sans nommer Ulysse, sans montrer à leur ennemi ce pieu qui doit lui crever l'œil après avoir été durci au feu et préparé par Ulysse lui-même, cette résignation à se laisser manger crus plutôt que de révéler le secret du maître, dépassent tout ce qu'on peut concevoir en matière de fermeté et de dévouement. Aussi ne trouvé-je pas maladroit ce trait de Pittacus.