Page:Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 2, 1870.djvu/612

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et y précède celui-même qui en a été l'inventeur. Un de ses amis le rencontre et lui dit : « N'y a-t-il qu'un instant que vous avez quitté votre maison pour vous rendre à l'assemblée ? — « Rien qu'un instant », répond l'autre. — « Ainsi vous n'avez entendu parler de rien ? » — « Eh quoi ! serait-il encore arrivé quelque chose de nouveau ? » — « On a vu voler une alouette qui a un casque d'or et une pique, et à cause de ce prodige les chefs de l'Etat se proposent de convoquer les sénateurs. » Notre patricien se mit à rire : « Très bien ! s'écria-t-il, très bien, ma femme ! Voilà qui s'appelle ne pas perdre de temps : le propos est arrivé avant moi sur la place publique. » Puis, se présentant aux sénateurs, il prévint en eux toute agitation. Mais il voulut punir sa femme ; et dès qu'il fut rentré chez lui : « Madame, lui dit-il, vous m'avez perdu. On a reconnu que c'est de chez moi que le secret s'est répandu dans le peuple. Je suis obligé de me condamner à l'exil à cause de votre indiscrétion. La femme se mit à nier qu'elle eût rien dit : « D'ailleurs, ajouta-t-elle, vous avez entendu le propos en compagnie de trois cents autres. » — « De quels trois cents parlez-vous ? répliqua le mari. Comme vous vouliez me faire violence, j'ai imaginé ce conte pour vous éprouver. » Sage et avisé se montra ce sénateur. Il mit avec précaution sa femme à l'épreuve, comme quand on essaye un vase fêlé, où l'on verse non pas du vin ni de l'huile, mais simplement de l'eau.

Fulvius, un des amis de César Auguste, entendit un jour ce prince, déjà vieux, déplorer la solitude de sa maison : « J'ai perdu deux de mes petits-fils, disait-il. Postumius, le seul qui me reste encore, a été condamné à la suite d'une accusation calomnieuse. Me voilà forcé d'appeler le fils de ma femme à la succession de l'empire. D'un autre côté, je me sens ému de compassion, et je songe à faire revenir de l'exil mon petit-fils. »

Fulvius ayant entendu ces paroles en instruisit sa femme, et celle-ci les redit à Livie. L'impératrice se plaignit amèrement auprès de César de ce qu'au lieu de faire revenir son petit-fils, comme il l'avait résolu depuis longtemps, il la mettait en inimitié et en guerre avec celui qui devait le remplacer