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Page:Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 2, 1870.djvu/684

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valent le mieux[1]. Mais l’envie est un sentiment que l’on n’avoue point. Si l’on en est accusé on met en avant mille prétextes, soit la colère, soit la crainte, soit la haine. On déguise l’envie sous le nom de la première passion venue. On la cache, comme étant la seule maladie de l’âme qui doive être dissimulée.

6. Il semblerait que ces deux passions, comme des plantes de même espèce, dussent nécessairement se nourrir, se fortifier, se développer par les mêmes causes. La nature le veut autrement[2]. Si nous avons plus de haine contre ceux qui s’engagent plus avant dans les voies de la perversité, d’autre part nous portons plus d’envie à ceux qui nous paraissent faire plus de progrès dans la vertu. Aussi Thémistocle disait-il, étant encore jeune homme : « qu’il n’avait jusqu’alors rien fait de notable, puisque personne ne lui portait envie. » De même que les cantharides s’attachent de préférence au blé vigoureux et aux roses bien épanouies, de même l’envieux s’attaque surtout aux plus irréprochables, à ceux qui croissent en vertu et en gloire sous le rapport des mœurs et du rôle à jouer[3]. Au contraire les perversités extrêmes rendent plus intenses les haines qui les poursuivent. Ainsi les calomniateurs de Socrate, qui étaient allés jusqu’aux dernières limites de la méchanceté, se firent détester au delà de ce que l’on peut dire et devinrent l’objet d’une aversion inexprimable. On leur refusait du feu ; on ne répondait pas à leurs questions ; on ne voulait pas se baigner dans l’eau où ils s’étaient lavés, et l’on obligeait les garçons de bain à jeter cette eau comme étant impure[4]. Cette réprobation dura jusqu’au moment où, ne pouvant supporter une telle haine, ils s’étranglèrent eux-mêmes.

Il est vrai que la supériorité et l’éclat des succès éteignent quelquefois l’envie. Selon toute vraisemblance, personne ne fut jamais jaloux d’Alexandre ou de Cyrus lorsqu’ils

  1. Amyot : « d’estre ainsi haï des plus gens de bien » (?)
  2. Nous traduisons d’après le texte de Wyttembach. Amyot et Ricard ne reproduisent pas cette petite phrase.
  3. M. à m. : « en gloire de mœurs et de visage. » Ce détail a été négligé dans toutes les interprétations.
  4. Amyot ajoute : « de peur d’avoir rien commun avec eulx. »