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LES INFORTUNES DE LA VERTU.

ments essentiels, sans vous effrayer plus longtemps des détails. Comme ce n’était pas le jour de notre souper nous fûmes assez tranquilles, mes compagnes me consolèrent de leur mieux, mais rien ne pouvait adoucir des chagrins de la nature des miens ; en vain y travaillèrent-elles, plus elles me parlaient de mes maux, et plus ils me paraissaient cuisants.

Le lendemain dès neuf heures le gardien vint me voir quoiqu’il ne fût pas de jour, il demanda à Omphale si je commençais à prendre mon parti, et sans trop écouter la réponse, il ouvrit un des coffres de notre cabinet dont il tira plusieurs vêtements de femme :

— Comme vous n’avez rien avec vous, me dit-il, il faut bien que nous pensions à vous vêtir, peut-être bien un peu plus pour nous que pour vous ; au moins ainsi point de reconnaissance ; moi je ne suis point d’avis de tous ces vêtements inutiles et quand nous laisserions aller les filles qui nous servent nues comme des bêtes, il me semble que l’inconvénient serait très léger, mais nos pères sont des gens du monde qui veulent du luxe et de la parure, il faut donc les satisfaire.

Et il jeta sur le lit plusieurs déshabillés avec une demi-douzaine de chemises, quelques bonnets, des bas et des souliers, et me dit d’essayer tout cela ; il assista à ma toilette et ne manqua à aucun des attouchements indécents que la situation put lui permettre. Il se trouva trois déshabillés de taffetas, un de toile des Indes qui pouvaient m’aller ; il me permit de les garder, et de m’arranger également du reste, en me souvenant que tout cela était de la maison et de l’y remettre si j’en sortais avant que de l’user ; ces différents détails lui ayant procuré quelques tableaux qui l’échauffèrent, il m’ordonna de me mettre de moi-même dans l’attitude que je savais lui convenir… je voulus lui demander grâce, mais voyant la rage et la colère déjà dans ses yeux, je crus que le plus court était d’obéir, je me plaçai… le libertin entouré des trois autres filles se satisfit comme il avait coutume de faire aux dépens des mœurs, de la religion et de la nature. Je l’avais enflammé, il me fêta beaucoup au souper, et je fus destinée à passer la nuit avec lui ; mes compagnes se retirèrent et je fus dans son appartement. Je ne vous parle plus ni de mes répugnances, ni de mes