Page:Œuvres complettes de M. de Marivaux, tome 12, 1781.djvu/40

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dont nous lisions l’histoire ces jours passés, ne gâtera à présent personne.

THÉODOSE.

Vous me parlez d’un extravagant, d’une tête naturellement folle.

THÉOPHILE.

Il est vrai ; mais malgré la foiblesse de la tête, s’il n’avoit jamais été qu’un particulier, il ne seroit point tombé dans la folie qu’il eut, & ce fut la hauteur de la place qui lui donna ce vertige. Aujourd’hui les conditions comme la sienne ne peuvent plus être si funestes à la raison ; elles ne sçauroient faire des effets si terribles. La Religion, nos principes, nos lumieres, ont rendu un pareil oubli de soi-même impossible ; il n’y a plus moyen de s’égarer jusques-là : mais tout le danger n’est pas ôté ; & si l’on n’y prend garde, il y a encore des étourdissements où l’on peut tomber, & qui empêchent qu’on ne se connoisse. On ne se croit pas une Divinité, mais on ne sçait pas trop ce qu’on est, ni pour qui l’on se prend ; on ne se définit point. Ce qui est certain, c’est qu’on se croit bien différent des autres hommes ; on ne se dit pas : je suis d’une autre nature qu’eux ; mais de la maniere dont on l’entend, on se dit à-peu-près la valeur de cela.