Page:Œuvres complettes de M. de Marivaux, tome 12, 1781.djvu/84

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néral reçoit toujours plus d’idées qu’il ne lui en échappe, & ses malheurs mêmes lui en donnent souvent plus qu’ils ne lui en enlevent.

La quantité d’idées qui étoient dans le monde avant que les Romains l’eussent soumis, & par conséquent tant agité, étoit bien au-dessous de la quantité d’idées qui y entra par l’insolente prospérité des vainqueurs, & par le trouble & l’abaissement du monde vaincu.

Chacun de ces états enfanta un nouvel esprit, & fut une expérience de plus pour la terre.

Et de même qu’on n’a pas encore trouvé toutes les formes dont la matiere est susceptible, l’âme humaine n’a pas encore montré tout ce qu’elle peut être ; toutes ses façons possibles de penser & de sentir ne sont pas épuisées.

Et de ce que les hommes ont toujours les mêmes passions, les mêmes vices & les mêmes vertus, il ne faut pas en conclure qu’ils ne font plus que se répeter.

Il en est de cela comme des visages ; il n’y en a pas un qui n’ait un nez, une bouche & des yeux ; mais aussi pas un qui n’ait tout ce que je dis-là avec des différences & des singularités qui l’empêchent de ressembler exactement à tout autre visage.