Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/159

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inviolées, et voici qu’on lui jetait sur les épaules le banal manteau des Souverains.

Il régna sur les peuples. Des armées couvertes de fer gagnèrent pour lui des batailles et il savait que sa mémoire flamboierait dans l’avenir comme une clarté d’incendie. Pourtant il s’affligeait parce que ses pensées ressemblaient aux pensées des hommes et qu’elles venaient seulement se poser en son âme, pareilles aux tourterelles étrangères qui hantent tous les colombiers. Et comme il avait entendu des moines proclamer la vanité des joies, il se prit à songer : « La douleur seule est infinie. J’aurai une douleur plus grande que les douleurs humaines, une douleur que nul n’ait connue. »

Alors il fit sonner par la ville les clairons de ses hommes d’armes, et sur la place publique on dressa un échafaud tendu de velours noir. Quand le peuple fut assemblé, les valets du bourreau couverts de tuniques sanglantes amenèrent sur l’échafaud la petite amie du Roi, son amie la mieux aimée. Elle pleurait et appelait son Seigneur, et elle était si belle en son divin désespoir qu’elle se sentit pendant un instant adorée par des milliers d’hommes. Mais le Roi parut sur la place publique et monta les degrés