Page:Œuvres d’Éphraïm Mikhaël (Lemerre, 1890).djvu/214

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dit Stellus, si tu es le sauveur envoyé vers moi, si tu sais les choses cachées, dis-moi pourquoi je suis à jamais solitaire. Dis-moi pourquoi je n’ai pu jouer enfant avec les enfants, pourquoi je n’ai pu révéler aux jeunes hommes les paroles du vent, ni rire avec les soldats, ni dormir voluptueusement près de mon épouse ? » Et d’une voix surnaturelle, le vieillard répondit : « Stellus, Stellus, puisque les enchantements du baiser ne t’ont pas vaincu, puisque ton cœur incurablement noble ne peut s’enivrer des voluptés banales, je parlerai. Tu souffres, Stellus, parce que tu n’es pas semblable aux autres hommes, parce que tu ne peux connaître ni leurs joies, ni leurs espoirs, parce que tu as en toi des rêves obscurs, des passions innommées que tu ne peux exprimer par des paroles. Mais, il faut que tu le saches maintenant, tous les hommes sont ainsi que toi des monstres solitaires. Tu te souviens, Stellus, quand tu étais un tout petit enfant parmi les bergers, tu ne distinguais pas les boucs des béliers et les brebis des chevreaux. Et quand tu entendais au loin quelque bêlement, tu disais : « Ce sont les bêtes qui gémissent. » Comme le bouc diffère du bélier, un homme