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Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/14

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NOUVEL ORGANUM.

telles que : la nature propre et particulière de chaque individu, l’éducation, les conversations, les lectures, les sociétés, l’autorité des personnes qu’on admire et qu’on respecte, enfin la diversité des impressions que peuvent faire les mêmes choses, selon qu’elles rencontrent un esprit préoccupé et déjà vivement affecté par d’autres objets, ou qu’elles trouvent un esprit tranquille et reposé ; en sorte que, rien n’étant plus inégal, plus variable, plus irrégulier que la disposition naturelle de l’esprit humain, considéré dans les divers individus, ses opérations spontanées sont presque entièrement le produit du hasard. Et c’est ce qui a donné lieu à cette observation si juste d’Héraclite : « Les hommes vont cherchant les sciences dans leurs petits mondes particuliers, et non dans le monde universel, c’est-à-dire dans le monde commun à tous. »

XLIII. Il est aussi des fantômes de convention et de société que nous appelons fantômes de la place publique, et dont la source est la communication qui s’établit entre les différentes familles du genre humain. C’est à ce commerce même, et aux associations de toute espèce, que fait allusion le nom par lequel nous les désignons, car les hommes s’associent par les discours ; et les noms qu’on impose aux différents objets d’échange, on les proportionne à l’intelligence des moindres esprits. De là tant de nomenclatures inexactes, d’expressions impropres qui font obstacle aux opérations de l’esprit : et c’est en vain que les savants, pour prévenir ou lever les équivoques, multiplient les définitions et les explications ; rien de plus insuffisant qu’un tel remède ; quoi qu’ils puissent faire, ces mots font violence à l’entendement, et troublent tout en précipitant les hommes dans de stériles et innombrables disputes.

XLIV. Il est enfin des fantômes originaires des dogmes dont les diverses philosophies sont composées, et qui, de là, sont venus s’établir dans les esprits. Ces derniers, nous les appelons fantômes de théâtre : car tous ces systèmes de philosophie, qui ont été successivement inventés et adoptés, sont comme autant de pièces de théâtre que les divers philosophes ont mises au jour, et sont venus jouer chacun à leur tour ; pièces qui présentent à nos regards autant de mondes imaginaires et vraiment faits pour la scène. Nous ne parlons pas seulement ici des opinions philosophiques et des sectes qui ont régné autrefois, mais en général de toutes celles qui ont pu ou peuvent encore exister, attendu qu’il est encore assez facile de composer une infinité d’autres pièces du même genre, les erreurs les plus opposées ayant presque toujours des causes semblables. Et, ce que nous disons, il ne faut pas l’entendre seule-