Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/239

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logique à la vérité pratique, ou plutôt à la bonne foi et à la sincérité dans les affaires, nous ne pourrons douter (et c’est une maxime incontestable pour ceux même qui s’en écartent à chaque instant) qu’une conduite franche et toujours droite ne soit ce qui donne le plus d’élévation et de dignité à la nature humaine, et que la fausseté dans le commerce de la vie ne soit semblable à ces métaux vils qu’on allie avec l’or, et qui, en le rendant plus facile à travailler, en diminuent la valeur. Toutes ces voies obliques et tortueuses assimilent l’homme au serpent qui rampe parce qu’il ne sait pas marcher. Il n’est point de vice plus honteux et plus dégradant que celui de la perfidie, ni de rôle plus humiliant que celui d’un menteur ou d’un fourbe pris sur le fait. Aussi Montaigne, cherchant la raison pour laquelle un démenti est un si grand affront, résout ainsi cette question avec son discernement ordinaire « Si l’on y fait bien attention, dit-il, qu’est-ce qu’un menteur, sinon un homme couard à l’endroit des hommes et brave à l’endroit de Dieu ? » En effet, mentir n’est-ce pas braver Dieu même et plier lâchement devant les hommes ? Enfin, pour donner une juste idée de l’énormité des crimes tenant du mensonge et de la fausseté, disons que ce vice, en comblant la mesure des iniquités humaines, sera comme la trompette qui appellera sur les hommes le jugement de Dieu, car il est écrit que le Sauveur du monde, à son dernier avènement, ne trouvera plus de bonne foi sur la terre.


II — De la mort.


Les hommes craignent la mort comme les enfants craignent les ténèbres ; et ce qui renforce l’analogie, les terreurs de la première espèce sont aussi augmentées dans les hommes faits par ces contes effrayants dont on les berce. Nul doute que de profondes méditations sur la mort, envisagée comme conséquence du péché originel et comme passage a une autre vie, ne soient une occupation pieuse et utile au salut, mais la crainte de la mort, envisagée comme un tribut qu’il faut payer à la nature, n’est qu’une faiblesse. Et même dans les méditations religieuses sur ce sujet, il entre quelquefois de la superstition et de la puérilité. Par exemple, dans un de ces livres que les moines méditent pour se préparer à la mort, on lit ce qui suit : « Si la plus légère blessure faite au doigt peut causer de si vives douleurs, quel horrible supplice doit-ce être que la mort, qui est la corruption ou la dissolution du corps tout entier ». Conclusion pitoyable, attendu que la fracture ou la dislocation d’un seul membre cause de plus grandes douleurs que la mort même, les parties les plus essentielles à la vie n’étant pas les plus sensibles. C’est donc