Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/251

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à ses adversaires et les fait accourir pour lui barrer le chemin. Le second est de s’assurer une retraite en cas de mauvais succès; car; en déclarant ouvertement ses desseins, on s’engage en quelque manière à réussir sous peine de perdre sa réputation. Le troisième est de découvrir plus aisément les desseins des autres. Lorsqu'un homme paraît s’ouvrir avec confiance, on ne lui rompt pas en visière; on le laisse avancer tant qu'il veut, et, en échange de ses discours qui paraissent libres et ingénus, on lui communique volontiers ses propres pensées. C’est ce que dit certain proverbe espagnol et un peu fripon: « Dis hardiment un mensonge, et tu arracheras une vérité; » comme s’il n’y avait pas d’autre moyen que l’artifice pour faire de telles découvertes.

Mais ces trois avantages sont balancés par trois inconvénients. Le premier est que la dissimulation et le déguisement sont des signes de crainte; ce qui, dans toute espèce d’affaires, fait manquer le but ou y fait arriver plus tard. Le second est qu’ils font naître des doutes et de l’incertitude dans l'esprit des personnes qui vous auraient secondé si vous eussiez été un peu moins couvert ou dissimulé, ce qui réduit un homme presque à lui seul et le prive de toute assistance. Le troisième inconvénient est que tout homme artificieux et dissimulé se prive ainsi de l’instrument le plus puissant et le plus nécessaire pour l’action, je veux dire du crédit et de la confiance des autres. Le meilleur tempérament et la meilieure combinaison en ce genre seraient d’avoir, avec une réputation de franchise, l’habitude du secret, la faculté de dissimuler au besoin, et même celle de feindre lorsqu’il n’y a pas d’autre expédient.

VII. — Des parents et de leurs enfants.

Cette joie si douce que les pères et les mères éprouvent à la vue de leurs enfants, ou en pensant à eux, est tout intérieure et reste cachée, ainsi que les craintes et les afflictions qu’ils ressentent à leur sujet; ils ne peuvent exprimer leurs jouissances et ils ne veulent pas découvrir leurs peines. Le plaisir de travailler pour ses enfants adoucit tous les travaux; mais aussi ils rendent les disgrâces plus amères et les chagrins plus cuisants. Ils multiplient les soins et les inquiétudes de la vie, mais en même temps ils adoucissent l’idée de la mort et la rendent moins terrible. Se perpétuer par ses enfants, par sa race, est un avantage commun à l’homme et à la brute; mais se perpétuer par sa réputation, par des services éclatants et d’utiles institutions, qui laissent un long souvenir, est une prérogative propre à l’homme. Aussi voit-on que les ouvrages les