Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/265

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d’âme d’un personnage que les honneurs et les dignités ont rendu meilleur ne peut être douteuse, et un tel changement est le signe le plus certain de l’élévation de ses sentiments; car, de même qu’au physique les corps qui se trouvent hors de leur lieu naturel s’y portent avec violence, et, lorsqu’ils y sont arrivés, demeurent en repos, tant que la vertu aspire aux honneurs qui lui sont dus, elle est dans un état violent; mais lorsqu’elle est arrivée à ce poste élevé auquel elle aspirait, alors, se trouvant à sa place, elle est calme et tranquille.

On ne monte aux grandes places que par un escalier tournant; et, si l’on trouve des factions sur son chemin, il faut se pencher un peu d’un côté en montant, et lorsqu’on est au haut il faut rester au milieu, se tenir droit et garder l’équilibre.

Respectez la mémoire de votre prédécesseur, n’en parlez qu’avec estime et tendresse; si vous le déprimez, votre successeur vous payera de la même monnaie.

Si vous avez des collègues, ayez pour eux les plus grands égards, et ne craignez point de leur donner part aux affaires dont vous êtes chargé; car il vaut mieux les appeler quand ils ne s’y attendent pas, que de les exclure lorsqu’ils auraient lieu de s’attendre à être appelés.

Dans les réponses que vous donnez en particulier aux solliciteurs ou aux postulants, et dans les entretiens ordinaires, perdez un peu de vue la prérogative de votre charge, et n’affectez pas trop de dignité; faites plutôt en sorte qu’on dise de vous : « C’est un autre homme quand il est dans l’exercice de sa charge ».

XII. — De l’audace.

L’observation que nous allons faire semble, à la première vue, convenir mieux à un rhéteur qu’à un philosophe ; cependant, envisagée par une certaine face, elle mérite l’attention des sages mêmes. « Quelle est la partie la plus essentielle à l’orateur ? demandait-on à Démosthènes — C’est l’action. — Quelle est la seconde ? — L’action. — Et la troisième ? — L’action encore. » Il ne disait rien en cela qu’il n’eut appris de sa propre expérience ; car personne ne posséda ce genre de talent à un plus haut degré que lui ; cependant la nature l’avait peu favorisé à cet égard, et il ne l’avait acquis que par un travail opiniâtre. On peut être étonné de voir ce grand homme attacher tant d’importance à cette partie de l’orateur qui peut passer pour la plus superficielle, et semble n’être tout au plus qu’un talent de comédien, la mettre au-dessus de l’invention, de l’élocution et de toutes ces autres parties