Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/290

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290 ESSAIS DE MORALE ET DE POLITIOUE. Les commerçants sont la veine porte du corps politique ; lorsqüe le commerce n’est pas florissant, ce corps peut avoir des membres robustes ; mats ses parties seront mal nourries, et il aura peu d’embonpoint. Les taxes imposées sur cette classe de citoyens sont rarement avantageuses aux revenus du souverain ; car ce qu’il peut gagner par ce moyen sur une centaine d’individus, il le reperd sur une province entière qu’il appauvrit : la masse de ces impositions ne pouvant croître qu’aux dépens de la masse totale des fonds employés dans le commerce. Les classes inférieures du peuple ne sont à craindre que dans deux cas, savoir : quand elles ont un chef puissant et renommé, ou quand on touche trop à la religion, aux anciennes coutumes, ou aux moyens dont il tire sa subsistance. Enfin, les gens de guerre sont dangereux dans un État quand, restant toujours sur pied, ils ne forment qu’un seul corps et sous un seul chef, ou lorsqu’ils sont trop accoutumés aux faveurs et gratifications ; danger dont nous voyons assez d’exemples dans les fréquentes révoltes des janissaires de Constantinople, et dans celles des gardes prétoriennes des empereurs romains. Mais quand on a l’attention de lever des hommes et de les exercer en différents lieux, en mettant à leur tête plusieurs chefs, et en ne les accoutumant pas trop à ces gratifications, on procure aussi à l’État une défense toujours subsistante et sans courir de risques. Les princes peuvent être comparés aux corps célestes ; ils font les bons elles mauvais temps ; ils reçoivent beaucoup d’hommages ; mais ils ont plus d’éclat et de majesté que de repos. Tous les pré¬ certes qu’on peut donner aux rois sont compris dans ces deux avertissements de l'Ecriture-Sainte : « Souviens-toi que tu es homme ; mais souviens-toi en même temps que tu es un dieu sur la terre » (ou le lieutenant de la divinité) ; avertissements dont l’un doit servir de frein à leur pouvoir et l’autre à leur volonté. XX. — Du conseil et des conseils d’État. La preuve la plus sensible de confiance qu’on puisse donner à un autre homme, c’est de le choisir pour son conseiller ; car, lorsqu’il confie à un autre ses biens, ses enfants, son bonheur même ou telles affaires particulières, il ne lui confie encore qu’une partie de ce qu’il a et de ce qu’il est, au lieu qu’il met sa personne même, c’est-à-dire le tout à la discrétion de ceux qu’il choisit pour ses conseillers. Mais il est juste que, de leur côté, ses conseillers soient sincères et d’une fidélité à toute épreuve. Quand un prince est assez sage pour se former un conseil de’