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LIVRE PREMIER.

contour de l’ancien est connu, et la masse des expériences ou des observations s’est accrue à l’infini. Si donc nous voulions, à l’imitation des astrologues, tirer quelque pronostic de l’heure de la naissance et de la génération de ces anciennes philosophies, ces signes ne nous annonceraient rien de grand à leur sujet.

LXXIII. Mais de tous les signes qui peuvent nous mettre en état d’apprécier ces doctrines, le plus certain et le plus sensible, ce sont leurs fruits ; car les fruits et les œuvres sont comme les garants et les cautions de la vérité des théories. Or, quels fruits ont portés ces spéculations philosophiques des Grecs, et leurs dérivations dans les sciences particulières ? À peine, durant le cours de tant de siècles, peut-on citer une seule expérience tendant à adoucir la condition humaine, et dont on puisse se croire vraiment redevable à toutes ces spéculations et à tous ces dogmes philosophiques. Et c’est ce que Celse avoue avec autant d’ingénuité que de jugement : « Il ne faut pas croire, dit-il, que les remèdes qu’emploie la médecine aient été déduits méthodiquement de la connaissance des causes ou des principes de la philosophie, et n’en aient été que les conséquences pratiques ; mais, par une marche toute contraire, ces pratiques furent d’abord inventées, puis on se mit à raisonner sur tout cela, on se mêla de chercher les causes, on osa les assigner. » Il n’est donc pas étonnant que chez les Égyptiens, nation qui consacrait par des honneurs publics, et rangeait parmi les dieux, les inventeurs de choses utiles, on trouvât plus d’effigies d’animaux que d’images humaines ; attendu que les animaux, guidés par le seul instinct naturel, ont mis les hommes sur la voie d’une infinité d’inventions utiles : au lieu que les hommes ont eu beau raisonner et entasser les arguments, ils n’ont fait, par ce stérile moyen, que peu ou point de vraies découvertes.

Cependant l’industrie des chimistes n’a pas laissé de produire quelques fruits ; mais ce fut au hasard, comme en passant, et, en variant jusqu’à un certain point leurs expériences, à peu près, comme le font ordinairement les artisans, et non d’après les vrais principes de leur art ou à la lumière de quelque théorie, car celle qu’ils ont imaginée tend plutôt à troubler la pratique qu’à l’aider. Il n’est pas jusqu’à ceux qui étaient versés dans ce qu’on appelle la magie naturelle qui n’aient inventé quelque peu, mais toutes inventions frivoles et tenant fort de l’imposture. Nous dirons encore à ce sujet que le principe de religion qui veut que la foi se manifeste par les œuvres s’applique fort bien à la philosophie. Il faut la juger par ses fruits, et, si elle est stérile, la rejeter comme inutile, surtout lorsqu’au lieu de raisins et d’olives, qu’elle devrait