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PRÉFACE.

sciences, ainsi que deux tribus ou familles de philosophes et de contemplatifs, familles qui ne sont nullement étrangères l’une a l’autre, encore moins ennemies par état, mais au contraire intéressées à resserrer par des secours mutuels les liens naturels qui les unissent, et a former entre elles une sorte de confédération. En un mot, distinguons un art de cultiver les sciences et un art de les inventer. S’il se trouve des personnes à qui le premier paraisse préférable et plaise davantage, soit par sa marche prompte et facile, soit à cause du fréquent usage dont il peut être dans la vie ordinaire, soit enfin parce qu’un défaut de vigueur dans l’esprit les rend incapables de saisir et d’embrasser dans toute son étendue cette seconde philosophie plus vaste et plus difficile (motif qui sera probablement celui du plus grand nombre), nous faisons des vœux pour eux, et leur souhaitons les plus heureux succès, les laissant libres de suivre le parti qu’ils ont pris. Mais s’il existe un mortel courageux qui ait un vrai désir, non de rester comme cloué aux découvertes déjà faites et d’en faire simplement usage, mais d’ajouter lui-même a ces inventions, non de l’emporter sur un adversaire par sa dextérité dans la dispute, mais de vaincre la nature même des œuvres, un homme, dis-je, qui ne perde point de temps a entasser d’imposantes vraisemblances, mais qui soit jaloux d’acquérir une véritable science, une science certaine, et qui se démontre elle-même par ses œuvres, celui-là, nous le reconnaissons pour un légitime enfant de la science, qu’il daigne se joindre à nous, et que, laissant derrière lui cette facile entrée des routes de la nature, route si longtemps battue par la multitude, il ose pénétrer avec nous jusqu’aux parties les plus reculées. Et pour mieux faire entendre notre pensée, et rendre les idées plus familières en y attachant des noms, appelons l’une de tes deux routes ou méthodes anticipations de l’esprit, et l’autre, interprétation de la nature, noms par lesquels nous les distinguons ordinairement[1].

Voilà à quoi il faut tendre sans cesse. Quant à nous, nous avons voulu (et nous avons mis a cela tous nos soins) que tout ce que nous croirions devoir mettre en avant fût non-seulement vrai en soi, mais aussi pût se faire jour sans gêne et sans violence dans l’esprit des hommes, quoique occupés d’autres intérêts, et quelque éloignés qu’ils fussent de notre sujet. Toutefois, quand nous traitons une matière aussi importante que l’est une restauration des études et des sciences, nous devons exiger de tous ceux qui, soit pour obéir à leur propre sentiment, soit pressés par l’autorité de la foule, soit convaincus par les formes de notre démonstration, qui ont acquis

  1. Voy. aph. 26