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Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/57

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LIVRE PREMIER.

quelque chose de semblable. Elle ne se repose pas uniquement ni même principalement sur les forces naturelles de l’esprit humain, et, cette matière qu’elle tire de l’histoire naturelle, elle ne la jette pas dans la mémoire telle qu’elle l’a puisée dans ces deux sources ; mais, après l’avoir aussi travaillée et digérée, elle la met en magasin. Ainsi notre plus grande ressource et celle dont nous devons tout espérer, c’est l’étroite alliance de ces deux facultés, l’expérimentale et la rationnelle, union qui n’a point encore été formée.

XCVI. On ne trouve nulle part d’histoire naturelle parfaitement pure. Toutes celles que nous avons sont infectées de préjugés et sophistiquées, à savoir, dans l’école d’Aristote, par la logique ; dans la première école de Platon, par la théologie naturelle ; dans la seconde école du même philosophe, dans celles de Proclus et de quelques autres, par les mathématiques, science qui doit non engendrer, commencer la philosophie naturelle, mais seulement la terminer. Cependant, avec une histoire naturelle pure et sans mélange, nous devons attendre quelque chose de mieux.

XCVII. Il n’a point encore paru de mortel d’un esprit assez ferme et assez constant pour s’imposer la loi d’effacer entièrement de sa mémoire toutes les théories et les notions communes, pour recommencer tout et appliquer de nouveau aux faits particuliers son entendement bien aplani et, pour ainsi dire, tout ras. Aussi, cette philosophie, que nous tenons de la seule raison humaine abandonnée à elle-même, n’est-elle qu’un amas, qu’un fatras composé du produit de la crédulité, du hasard et des notions que nous avons sucées avec le lait.

Mais s’il paraissait un homme d’un âge mûr qui, avec des sens bien constitués et un esprit purifié de toute prévention, appliquât de nouveau son entendement à l’expérience, ah ! ce serait de cet homme-là qu’il faudrait tout espérer. Or, c’est en quoi nous osons nous-même aspirer à la fortune d’Alexandre-le-Grand. Et qu’on aille pas pour cela nous taxer de vanité avant d’avoir vu la fin discours dont le but propre est de bannir toute vanité. Car c’était ainsi que s’exprimait Eschine en parlant du grand Alexandre et de ses exploits : « Certes, cette vie que nous vivons n’a rien de mortel, nous sommes nés pour que la postérité raconte de nous des prodiges. » Il semble que cet orateur regardait les exploits d’Alexandre comme autant de miracles. Mais dans les siècles suivants parut Tite-Live, qui sut mieux expliquer et apprécier ce miracle prétendu lorsqu’il dit, au sujet d’Alexandre, « qu’au fond il n’eut d’autre mérite que celui d’avoir méprisé courageusement un vain épouvantail » Nous pressentons que la postérité, portant de