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NOUVEL ORGANUM

pect favorable à l’égard de ce que nous allons proposer, car, outre cette sorte de prévention qui a pour cause un préjuge ancien et invétéré, ce qui pourrait encore fortifier cette prévention ce serait la fausse idée qu’on pourrait se faire de ce que nous avons en vue. Ainsi nous tâcherons, dans ce qui suit, de donner une idée juste et précise de notre objet, mais seulement une idée provisoire qui pourra suffire jusqu’à ce qu’on ait une pleine connaissance de la chose même.

CXVI. La première demande que nous ayons à faire, c’est qu’on ne s’imagine point qu’à l’exemple des anciens Grecs ou de certains modernes, tels que Telesio, Patrizzi, Severin[1], nous ayons l’ambitieux projet de fonder une secte en philosophie, ce n’est nullement notre dessein, nous pensons même que les opinions abstraites de tel ou tel philosophe sur la nature et sur les principes des choses importent fort peu au bonheur du genre humain. Nul doute qu’on ne puisse, en suivant les traces des anciens, ressusciter une infinité de systèmes de cette espèce, ou en imaginer de nouveaux tirés de son propre fonds, comme on peut inventer une infinité de systèmes astronomiques qui, quoique fort différents les uns des autres, ne laisseront pas de s’accorder tous assez bien avec les phénomènes célestes.

Nous attachons fort peu de prix à toutes les inventions de ce genre, les regardant comme autant de pures suppositions et de conjectures aussi inutiles que hasardées. Au contraire notre ferme résolution est d’essayer si l’on ne pourrait pas asseoir sur des fondements plus solides la puissance et la grandeur de l’homme, et reculer les limites de son empire sur la nature. Uniquement occupé de ce dessein, quoique nous ayons nous-même, sur différents sujets, des observations, des expériences ou des découvertes qui nous semblent plus réelles et plus solides que toutes celles de ces esprits systématiques, et que nous avons rassemblées dans la cinquième partie de notre Restauration, cependant nous ne voulons hasarder aucune théorie générale et complété, persuadé qu’il n’est pas encore temps. D’ailleurs nous n’espérons pas que notre vie se prolonge assez pour nous laisser le temps d’achever la sixième partie, ou serait exposée la philosophie que nous aurions découverte, en suivant constamment la véritable méthode dans l’interprétation de la nature. Ce sera encore assez pour nous de nous rendre utile dans les parties intermédiaires, d’y faire preuve d’une sage dé-

  1. Bacon a déjà cité souvent Telesio et Patrizzi dans le De augmentis, Pierre Séverin était un médecin danois, né en 1540, mort en 1602 et fort enthousiaste des opinions de Paracelse. ED.