Page:Œuvres de Bacon, II.djvu/84

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vraiment active. Mais en parlant ainsi nous sommes loin d’oublier que nous avons eu soin plus haut de relever et de corriger l’erreur ou tombe souvent l’esprit humain en déférant aux formes le principal rôle dans l’essence[1], car, quoiqu’à proprement parler il n’existe dans la nature que des corps individuels, opérant par des actes purs et individuels aussi, en vertu d’une certaine loi, néanmoins dans les sciences la recherche, l’invention et l’explication de cette loi est une vraie base tant pour la théorie que pour la pratique. C’est à cette loi-la, et à ses paragraphes, que nous attachons le nom de forme, que nous employons d’autant plus volontiers qu’il est usité et familier.

III Ne connaître la cause de telle ou telle nature (par exemple, de la blancheur ou de la chaleur) que dans certains sujets, c’est n’avoir qu’une science imparfaite, et n’être en état de produire tel effet que dans certaines matières choisies parmi celles qui en sont le plus susceptibles, c’est également n’avoir qu’une puissance imparfaite. Disons plus si l’on ne connaît que les causes matérielles et efficientes, sortes de causes variables et passagères qui ne sont, à proprement parler, que de simples véhicules, des causes qui amènent la forme dans certains sujets seulement, on pourra tout au plus obtenir quelques résultats nouveaux dans une matière analogue, jusqu’à un certain point, à celles sur lesquelles on a déjà opéré et d’ailleurs suffisamment préparée, mais les bornes que la nature a plantées plus profondément, on n’aura pas le pouvoir de les reculer. Mais s’il existe un mortel qui connaisse les formes, c’est cet homme seul qui peut se flatter d’embrasser les lois générales de la nature et de la voir parfaitement une, même dans les matières les plus dissemblables. Aussi, à la faveur de cette connaissance, ce qui na jamais été exécuté, ce que ni les vicissitudes de la nature, ni les expériences les plus ingénieuses, ni le hasard même n’eussent jamais réalisé, et ce dont on n’eût jamais soupçonné la possibilité, il pourra et le découvrir et l’effectuer. Ainsi de la découverte des formes découle la science vraie, et la pratique éclairée.

IV Quoique la route qui mène l’homme à la puissance et celle qui le conduit à la science soient très-voisines et presque la même, cependant, vu l’habitude aussi invétérée que pernicieuse il est de demeurer attaché a de puériles abstractions, il nous paraît infiniment plus sûr de commencer la restauration et de reprendre les

  1. « C’est-à-dire suivant M. Bouillet (Œuvres de Bacon, II 483) en supposant que les vaines abstractions que l’on décorait du nom de formes fussent la véritable essence des êtres » LD