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BIOGRAPHIES

luy pas celer plus longtemps la cause de son desplaisir. Mon pere luy dit : « Je ne pleure pas d’affliction, mais de joye. Vous sçavez le soin que j’ay pris pour oster à mon fils la connoissance de la Geometrie, de peur de le destourner de ses autres estudes : cependant voyez ce qu’il a fait. » Sur cela il luy montra tout ce qu’il avoit trouvé, par où l’on pouvoit dire en quelque façon qu’il avoit inventé la mathematique. M. Le Pailleur ne fut pas moins surpris que mon pere l’avoit esté ; et il luy dit qu’il ne trouvoit pas juste de captiver plus longtemps cet esprit, et de luy cacher encore cette connoissance ; qu’il falloit luy laisser voir les livres, sans le retenir davantage.

Mon pere, ayant trouvé cela à propos, lui donna les Elements d’Euclide pour les lire à ses heures de recreasion. Il les vit et les entendit tout seul, sans avoir jamais eu besoin d’explication ; et pendant qu’il les voioit, il composoit et alloit si avant, qu’il se trouvoit regulierement aux conferences qui se faisoient toutes les semaines, où tous les habiles gens de Paris s’assembloient pour porter leurs ouvrages, ou pour examiner ceux des autres. Mon frere y tenoit fort bien son rang, tant pour l’examen que pour la production ; car il était un de ceux qui y portoient le plus souvent des choses nouvelles. On voioit aussi fort souvent dans ces assemblées là des propositions qui estoient envoyées d’Italie, d’Allemagne ou d’autres païs estrangers, et l’on prenoit son advis sur tout avec autant de soin que de pas un des autres ; car il avoit des lumieres si vives, qu’il est arrivé quelquesfois qu’il a descouvert des fautes dont les autres ne s’estoient point apperçus. Cependant il n’emploioit à cette estude que ses heures de recreation ; car il apprenait le latin sur des regles que mon pere lui avoit faites exprez. Mais comme il trouvoit dans cette science la verité qu’il avoit tousjours