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Page:Œuvres de Blaise Pascal, I.djvu/157

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BLAISE PASCAL

pauvres, et il me disoit quelquefois : « D’où vient que je n’ay encore jamais rien fait pour les pauvres, quoyque j’aye toujours eu un si grand amour pour eux ? » Et comme je luy respondois : « C’est que vous n’avez jamais assez de bien. — Je devois donc leur donner mon temps, me disoit-il, et ma peine ; c’est à quoy j’ay manqué. Et si les medecins disent vray, et que Dieu permette que je releve de cette maladie, je suis rèsolu de n’avoir d’autre occupation ny d’autre employ le reste de mes jours que le service des pauvres. » Ce sont les sentiments dans lesquels Dieu le prit.

Sa [patience][1] n’estoit pas moindre que sa charité ; et ceux qui estoient auprez de luy en estoient si esdifiez qu’ils disoient tous qu’ils n’avoient jamais rien veu de pareil. Quand on luy disoit quelques fois qu’on le plaignoit, il respondoit que pour luy il n’avoit point de peine de l’estat où il se trouvoit, qu’il apprehendoit mesme de guerir, et quand on luy en demandoit la raison, il disoit : « C’est que je connois le danger de la santé et les avantages de la maladie. » Et comme nous ne pouvions nous empescher de le plaindre au plus fort de ses douleurs : « Ne me plaignez point, disoit-il, la maladie est l’estat naturel des Chrestiens, parce qu’on est par là comme on devroit toujours estre, c’est à dire dans la souffrance, dans les maux, dans la privation de tous les biens et[2] [des] plaisirs des sens, exempt de toutes les passions, sans ambition, sans avarice, et dans l’attente continuelle de la mort. N’est ce pas ainsi que les Chrestiens doivent passer leur vie ? Et n’est-ce pas un grand bonheur quand on est par nécessité dans un estat où on est obligé d’estre. Et en effet on voioit

  1. F. donne, par erreur, pénitence.
  2. F. : les.