Page:Œuvres de Blaise Pascal, I.djvu/439

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RÉCIT DE DEUX CONFÉRENCES 385

qu'elle ne se meust point, encore que nous n'en eussions aucune expérience. En suitte il apporta une similitude qu'il jugeoit bien sensible et bien capable de représenter sa pensée : il dit donc que toutte la substance des corps debvoit estre considérée comme de l'eau, et que pour cela elle estoit comparée à un abisme, alléguant à ce pro- pos ce passage : Sicut abyssus multa (on ne luy vouleut pas montrer l'explication hors de propos de ce passage) ; qu'il falloit donc s'imaginer une mer ou un grand fleuve, et dans iceluy plusieurs bouteilles de verre remplies de l'eau de ce fleuve, car le fleuve n'en grossiroit pas pour cela, non plus que quand on casseroit quelqu'une de ces phiolles ou touttes ensemble, parce que ce seroist tous jours la mesme eau et il n'y en auroit pas davantage pour cela ; tout de mesme, les hommes sont comme ces bou- teilles de verre, qui tous ont une partye de la matière, et quand ils vivent, elle n'est pas diminuée, non plus que, quand ils sont cassez par la mort, la substance n'est pas augmentée, mais seulement la mesme substance est dis- persée par l'univers, ainsi que l'eau de la phiolle cassée partout le fleuve. — Cette pensée excitta une risée com- mune, et on dit quelques motz agréables sur cette com- paraison des hommes et des phiolles.

Et après tous ces discours on ayma mieux le remettre sur la théologie que d'entendre ces choses estranges sur la philosophie. Et comme un chacun eust bien souhaitté sçavoir quelles lumières il avoit sur la matière de la grâce, on luy demanda quelle opinion il estimoit la plus con- forme à la vérité, ou celle de Jansenius ou celle des Je- suistes, et s'il pensoit que Jansenius eust bien entendu S* Augustin. — Il respondit que ny les Jésuites ny Jan- senius n'avoient cognu entièrement la vérité, mais seule- ment une partie d'icelle : que Jansenius avoit bien appro-

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