d’où l’on veoit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes ; car, comme la vieillesse est l’aage le plus distant de l’enfance,
ils l’appliquent. C’est à la vieillesse du monde et à son âge mûr qu’il faut attacher ce nom d’antiquité. Or, la vieillesse du monde, c’est le temps où nous vivons, et non celui où vivaient les anciens, qui en étaient la jeunesse. À la vérité, le temps où ils ont vécu est le plus ancien par rapport à nous, mais, par rapport au monde, ce temps était le plus nouveau. Or, de même que nous attendons une plus ample connaissance des choses humaines et un jugement plus mûr d’un vieillard que d’un jeune homme, à cause de son expérience, du nombre et de la variété des choses qu’il a vues, entendues et pensées ; de même il est juste d’attendre de notre temps de beaucoup plus grandes choses que des temps anciens ; car, le monde étant plus âgé, il se trouve enrichi d’une infinité d’observations et d’expériences. » (Bacon, Nov. org., lib. i, 84, et De Augmentis, II, ii. Consulter également à ce sujet l’ouvrage de M. Adam sur Bacon, 1890, p. 192, 193 et à la page 350, la note sur les traductions françaises de Bacon au xviie siècle.) — Baillet (II, 531) nous a conservé le fragment d’un manuscrit de Descartes : « Il n’y a pas lieu de s’incliner devant les anciens à cause de leur antiquité : c’est nous plutôt qui devons être appelés anciens. Le monde est plus vieux maintenant qu’autrefois, et nous avons une plus grande expérience des choses. » — Fontenelle enfin, qui sans doute ne connaissait pas ce fragment de Pascal, écrit dans sa Digression sur les Anciens et les Modernes : « Un bon esprit cultivé est, pour ainsi dire, composé de tous les esprits des siècles précédents ; ce n’est qu’un même esprit qui s’est cultivé pendant tout ce temps. Ainsi cet homme qui a vécu depuis le commencement du monde jusqu’à présent, a eu son enfance où il ne s’est occupé que des besoins les plus pressants de la vie, sa jeunesse où il a assez bien réussi aux choses d’imagination telles que la poésie et l’éloquence, et où même il a commencé à raisonner, mais avec moins de solidité que de feu. Il est maintenant dans l’âge de virilité, où il raisonne avec plus de force, et a plus de lumières que jamais : mais il serait bien plus avancé si la passion de la guerre ne l’avait occupé longtemps, et ne lui avait donné du mépris pour les sciences auxquelles il est enfin revenu. Il est fâcheux de ne pouvoir pas pousser une comparaison qui est en si beau train, mais je suis obligé d’avouer que cet homme-là n’aura point de vieillesse ; il sera toujours également capable des choses auxquelles sa jeunesse était propre, et il le sera toujours de plus en plus de celles