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ŒUVRES

feu[1] car pour les autres, elles se meslent souvent ensemble, et causent une confusion trez incommode ; mais ce n'est jamais dans ceux qui ont de l'esprit.

Dans une grande ame tout est grand.

L'on demande s'il faut aymer. Cela ne se doit pas demander : on le doit sentir. L'on ne délibère point la dessus, l'on y est porté, et l'on a le plaisir de se tromper quand on consulte[2].

La netteté d'esprit cause aussy la netteté de la passion ; c'est pour quoy un esprit grand et net ayme avec ardeur, et il voit distinctement ce qu'il ayme.

Il y a de deux sortes d'esprits, l'un géométrique, et l'autre que l'on peut appeler de finesse[3].

Le premier a des veuës lentes, dures et inflexi-

  1. C'est-à-dire, comme il est expliqué plus haut, pour l'amour est l'ambition ; les autres passions, comme le goût du jeu et de la bonne chère, ne suffisent pas à remplir l'âme ; par là elles donnent lieu à des combinaisons et à des oscillations.
  2. C'est-à-dire : on se donne le plaisir de paraître céder à la suggestion d'autrui, alors qu'en réalité on suit son mouvement naturel.
  3. Les pages 405 et 406 du manuscrit des Pensées contiennent un long développement sous ce titre : Différence entre l'esprit de géométrie et l'esprit de finesse (Cf. Pensées, Sect. I, f. I; t. I, p. 9-14). Il est remarquable que le Discours des Agréments de Méré présente une distinction analogue. « Pour ce qui est des justesses, j'en trouve de deux sortes, qui font toujours de bons effets. L'une consiste à voir les choses comme elles sont et sans les confondre : pour peu que l'on y manque en parlant, et même en agissant, cela se connaît ; elle dépend de l'esprit et de l'intelligence. L'autre justesse paraît à juger de la bienséance, et à connaître en de certaines mesures jusqu'où l'on doit aller, et quand il se faut arrêter. Celle-ci, qui vient principalement du goût, et du sentiment, me semble plus douteuse, et plus difficile. » (Méré, Discours des agréments, Œuvres, 1698, t. I, p. 194.)