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Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu/287

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PRÉFACE DES TRAITÉS

il y remarqua tant de choses qu’il en fit un petit traité qui fut jugé tres ingenieux et très solide[1].

Cette étrange inclination qu’il avoit pour les choses de raisonnement causa une juste défiance à Monsieur son pere qui estoit un des habiles hommes de France dans les Mathematiques, que s’il luy donnoit quelque entrée dans la Geometrie, il ne s’y portât plus qu’il ne voudroit et que cela ne l’empeschast d’apprendre les langues. Il se resolut donc de luy en oster autant qu’il pourroit toutes sortes de connaissances : il serra tous les livres qui en traittoient, et il s’abstenoit mesme d’en parler en sa presence avec ses amis ; mais ces precautions ne firent qu’exciter la curiosité de son fils, de sorte qu’il conjuroit souvent son pere de luy apprendre les Mathematiques, et ne le pouvant obtenir, il le pria au moins de luy dire ce que c’estoit cette science. Monsieur le President Pascal luy répondit en que c’estoit une science qui enseignoit le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu’elles ont entre elles ; et en mesme temps luy deffendit d’en parler et d’y penser davantage ; mais c’estoit commander une chose impossible à un esprit tel que celuy de son fils. Aussi sur cette simple ouverture il se mit incontinent à réver à ses heures de recreation et estant seul dans une salle ou il avoit accoûtumé de se divertir, il prenoit du charbon et faisoit des figures sur les carreaux cherchant les moyens, par exemple, de faire un cercle parfaitement rond, un triangle dont les costez et les angles fussent égaux, et autres choses semblables. Il trouvoit tout cela facilement, ensuite il cherchoit les proportions des figures entr’elles. Mais comme le soin que Monsieur son pere avoit eu de luy cacher toutes ces choses avoit esté si grand qu’il n’en sçavoit pas mesme les noms, il fut contraint de se faire luy mesme des definitions. Il appeloit un cercle, un rond ; une ligne, une barre ; et ainsi des autres. Après ces definitions, il se fit des axiomes ; et

  1. Voir la Vie, supra t. I, p. 52.