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58 ŒUVRES

pauvreté, qu'il n'est pas tousjours permis de se la procurer ^ mais qu'il est toujours bon de la désirer, de Taymer et de se resjouïr de tout ce qui peut y contribuer, qu'on doit trembler quand on reçoit des biens, en les regardant comme un piège à la vertu et à l'esprit de pauvreté, et se resjouïr lorsqu'on en est privé, parce qu'on n'en est plus responsable. Enfin elle se servit de tant de moyens, qu'elle me réduisit à me resjouïr de tout ce qui m'affligeoit le plus, et à n'oser plus avoir de douleur que par la com- passion que j'avois de ceux qui m'en donnoient sujet*. Mais neantmoins ce ne fut qu'un endormissement, car j'estois trop foible et trop touchée pour estre susceptible de tant de vertu, et j'avoue à ma confusion qu'un moment après je rentray avec la mesme foiblesse dans mes pre- miers sentimens.

Ensuitte elle me fit veoir M. S. .. à qui je fis récit de ce qui se passoit, tandis qu'elle prist la peine de l'aller faire à nostre Mère; et, revenant sur ses pas, elle dit à M. S. . . que le sentiment de nostre Mère estoit que je devois laisser le tout à mes parens en la manière qu'il estoit, sans m'en mesler, non plus que s'il ne m'appartenoit point, et ne penser qu'à faire profession, sans me mettre en peine de rien. M. S... ne se rendit pas d'abord à cette pensée, craignant qu'il n'y eut peut estre trop de géné- rosité, et pas assez d'humilité dans cette action. Sur quoy il nous dit avec beaucoup de force qu'après qu'on a surmonté la cupidité insatiable d'amasser du bien, qui règne presque partout, il faut beaucoup appréhender de

I. « Et si je fusse demeurée dans cette insensibilité, j'aurois esté telle qu'elle me demandoit. Mais j'estois trop foible et trop touchée pour eslre capable de tant de vertu; et j'avoue à ma honte qu'un moment après je rentray dans ma première foiblesse et dans mes- premiers sentimens. »

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