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Page:Œuvres de Blaise Pascal, III.djvu/86

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70 ŒUVRES

personne comme luy ; et vous sçavez bien qu'on ne doit jamais* se fonder sur les miracles. »

Je ne peas m'empescher de luy dire que, quand j'aurois fait cette reflexion, j'aurois creu avoir droit d'en espérer un de cette sorte, puisqu'il y en avoit des exemples dans nostre famille plus extraordinaires que celuy là, et de feu mon Père mesme envers un de mes oncles qui lui estoit desja assez obligé d'ailleurs.

« Je croy bien cela, dit-elle ; mais M. votre oncle estoit un homme engagé dans le monde. N'avez vous jamais veu dans la vie des Pères ^ une petite histoire qui a bien du rapport à ce que vous dites? Un homme de bien et qui vivoit dans le monde avec l'authorité d'un religieux, s'estant enfin retiré dans la solitude, à quelque temps de là un de ses frères le vint voir et le vit disner à l'heure de None. Il ne peut s'empescher de luy dire, qu'il s'estonnoit de le voir si relasché que de manger à cette heure là contre sa coutume ordinaire de ne prendre son repas [qu] à l'heure de Vespres, lorsqu'il estoit dans le monde. Aquoy le solitaire respondit : « Ne vous en estonnez pas, mon frère. Quand j'estois dans le monde, mes oreilles me repaissoient : les louanges qu'on donnoit à mon aus- térité satisfaisoient si bien mon esprit, que le corps en estoit fortifié et animé à les redoubler s'il eut esté besoin ; mais icy où personne ne me dit mot, et où l'amour propre n'a rien qui le contente, je suis obligé malgré moy de donner cette satisfaction à la nature, parce qu'elle en est

��1 . « s'attendre aux » .

2. A.llusion probable à la traduction d'Arnauld d'Andilly. Dans le second volume qui parut précisément en i653, Arnauld d'Andilly rapporte l'anecdote à la page 6i8, sous ce titre: « Belle response d'un solitaire touchant le jeusne ». Abrégé du Pré Spiriluel de Jean surnommé Mose, prestre et solitaire, eh. i53-xliii.

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