Pour entrer dans la veritable connoissance de vostre condition, considerez la dans cette image.
Un homme est jetté par la tempeste dans une isle inconnuë dont les habitans estoient en peine de trouver leur roy qui s’estoit perdu, et ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce Roy, il est pris pour luy, et reconnu en cette qualité par tout ce peuple. D’abord il ne sçavoit quel party prendre ; mais il se résolut enfin de se prester à sa bonne fortune. Il receut tous les respects qu’on luy voulut rendre, et il se laissa traitter de Roy.
Mais comme il ne pouvoit oublier sa condition naturelle, il songeoit en mesme temps qu’il recevoit ces respects, qu’il n’estoit pas ce Roy que ce peuple cherchoit, et que ce Royaume ne luy appartenoit pas. Ainsi il avoit une double pensée, l’une par laquelle il agissoit en Roy, l’autre par laquelle il reconnoissoit son état véritable, et que ce n’estoit que le hasard qui l’avoit mis en la place où il estoit : il cachoit cette derniere pensée, et il découvroit l’autre. C’estoit par la première qu’il traittoit avec le peuple, et par la derniere qu’il traittoit avec soy-mesme.
Ne vous imaginez pas que ce soit par un moindre hazard que vous possedez les richesses dont vous vous trouvez