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LETTRES DE PASCAL A Mr ET A Mlle DE ROUANNEZ 393

tems, quoy qu’il eust une maison dans Paris. Enfin M. de Rouannez, apres bien des reflexions, prit la resolution et se determina absolument à abandonner le monde. Il le declara à M. Singlin et à M. Pascal, et leur dit qu’il prendroit l’occasion, aussitost qu’il pourroit la trouver, d’avoir l’agrement du Roy pour vendre son gouvernement et se retirer à l’instition 1. Sa resolution estant prise entierement et declarée à ces MM., il luy arriva une chose fort extraordinaire. Il y avoit 4. ou 5. ans que, ne pensant point à quitter le monde et songeant au contraire à s’y establir, il y avoit une demoiselle de qualité, et la plus riche heritiere du royaume qui estoit Mademoiselle de [Mesmes] qui n’estoit point encore en age de se marier. M. de Rouannez jettoit tousjours les yeux sur elle, comme un party qui luy convenoit, et il ne doutoit pas mesme qu’il ne pust l’avoir, parce qu’il estoit alors seul duc et pair à marier, car il y avoit dans ce tems-là peu de ducs.

Il arriva donc qu’environ un mois apres que M. de Rouannez eust pris sa resolution, on alla proposer à M. le comte d’Harcourt Mademoiselle de [Mesmes] pour M. son petit-neveu. M. le comte d’Harcourt, tres-content, alla trouver M. de Rouannez, et luy dit: Mon neveu, je viens vous porter une nouvelle qui vous fera plaisir ; on vient de me proposer pour vous Mademoiselle de [Mesmes]. M. de Rouannez fut tres-surpris, et luy dit : Monsieur, je vous prie de me donner un peu de tems pour y penser. M. le comte d’Harcourt se mit en colere, et luy dit : Vous estes donc fou, mon neveu ! Si vous aviez recherché Mademoiselle de [Mesmes] bien longtems et qu’on vous l’accordast, vous devriez estre fort content ; on vous la vient jetter à la teste, et vous dites que vous y penserez. C’est une fille de qualité, la plus riche heritiere du Royaume ; il faut que vous soyez fou. M. de Rouannez persista à demander du tems; et au bout de 12. ou 15. jours il alla faire sa declaration à M. le comte d’Harcourt, qu’il avoit

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1. Il s’agit de l’Institution des Pères de l’Oratoire.